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langer, rallier maintenant les débris de la troupe boulangiste pour aller à l’assaut du ministre qui a vaincu le boulangisme ! Les radicaux se servent de tout, du boulangisme, du socialisme, de la séparation de l’Église et de l’État. Ils ne se flattent peut-être pas d’imposer une politique d’agitation trop visiblement contraire au sentiment du pays. Au fond, dans cette campagne qu’ils viennent de recommencer, ils ont une tactique bien simple que M. Clemenceau a dévoilée par l’âpreté avec laquelle il a combattu la politique de modération et de conciliation avec les conservateurs. Ils veulent à tout prix arrêter le ministère dans ses velléités pacificatrices et prolonger cette grande équivoque de la concentration républicaine où eux, minorité, ils ont su jusqu’ici imposer leur alliance, leurs passions et leur clientèle. Ils veulent, en perpétuant et en aggravant la scission avec les conservateurs, rester l’appoint nécessaire des majorités prétendues républicaines. Pour cela, ils reviendront au combat, et ils sont prêts à accepter tous les concours, toutes les coalitions. S’ils ne sont pas les maîtres, ils empêcheront les autres de gouverner !

La question est de savoir dans quelle mesure le gouvernement est disposé à se défendre, à résister aux assauts dont on le menace. C’est aujourd’hui, à ce qu’il semble, sa première affaire ; c’est à lui de se rendre compte des faits, de l’état général de la France, de savoir ce qu’il veut et ce qu’il peut. Il est possible, sans doute, que le ministère lui-même soit quelquefois embarrassé pour avoir une volonté, qu’il ait à se défendre contre ses propres divisions, contre des rivalités intestines ou des conflits qui ne rendent pas facile la netteté des résolutions. Il a cependant encore à travers tout, s’il le veut bien, une force réelle qu’il tient des dispositions générales du pays, des goûts de l’opinion pour la stabilité, et, on pourrait ajouter, des nécessités extérieures. Il a maintenant à choisir. — Se laissera-t-il troubler par les menaces de M. Clemenceau ou séduire par ce mirage décevant d’une prétendue concentration républicaine qui s’expliquait encore tant que la république était contestée, mais qui n’est plus aujourd’hui qu’une insigne duperie ? Il ne peut s’y méprendre, il n’irait sûrement pas loin. Il sait bien que chaque concession serait un affaiblissement, qu’il ne désarmerait pas ceux qui ne lui demandent que de se soumettre ou de se démettre. Il a cru récemment donner un gage ou se garantir pour quelque temps en livrant un évêque aux tribunaux : il n’y a rien gagné ! Il n’a réussi qu’à se mettre dans cette maussade alternative de recevoir un affront, si les juges refusent de voir un outrage dans une certaine liberté de langage qui n’a certes rien de la sédition, ou d’être embarrassé lui-même d’une condamnation qui lui donnerait des airs de persécuteur, qui ne pourrait que décourager les esprits modérés. Se décidera-t-il, au contraire, à soutenir sans subterfuge, sans hésitation, devant le parlement la politique d’apaisement