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des grandes Indes, rétrocédé en 1803 à la république batave, repris en 1807 et gardé, le Cap, de ce jour jusqu’en l’année 1854, fut administré à Londres par le département de la guerre. On le rattacha ensuite à l’office colonial, créé justement alors.

Pour mémoire, on peut mentionner l’institution d’un conseil législatif au Cap, en 1835. Ce ne fut même pas la moitié d’un conseil-général français. Ce fut une simple commission de six fonctionnaires, membres de droit, et de six particuliers, choisis par le gouverneur. Durant cette longue période de près de cinquante ans, rien n’a sérieusement tempéré l’absolutisme du régime, si ce n’est, de temps à autre, quelque protestation des colons. Il faut reconnaître, d’ailleurs, que les gouverneurs envoyés d’Angleterre furent ordinairement des hommes capables et pleins de bonne volonté. L’administration de la compagnie hollandaise avait été un mélange d’exploitation mercantile, de tyrannie et de faiblesse. La république batave, après la paix d’Amiens, avait entrepris des réformes vite interrompues. Les Anglais purent donc, sans trop de peine, se faire agréer par la population. Levaillant, voyageur français, avait déjà cru remarquer qu’on les aimait fort au Cap : il l’a écrit dans sa première relation, avant la conquête. Il ajoutait, avec plus ou moins d’exagération, qu’on y haïssait vigoureusement la France et les Français, ce qu’il expliquait par la rancune des fils ou petits-fils de réfugiés huguenots. En somme, les nouveaux maîtres du pays avaient la partie belle : ils remplaçaient un pouvoir peu regretté ; la race européenne dont ils prenaient la direction était proche parente de l’anglo-saxonne, parlait un dialecte qu’Alfred le Grand et le moine Cedmon, Harold et sa maîtresse au col de cygne auraient mieux compris que la langue de Tennyson et de Carlyle, de M. Gladstone et de lord Salisbury ; elle pratiquait une religion sœur de celle des presbytériens d’Ecosse et d’une forte minorité en Angleterre même ; la Hollande avait donné un prince au royaume-uni ; le souvenir de ses luttes avec la marine britannique ne hantait guère les cerveaux des fermiers sud-africains, gens de terre ferme et trop préoccupés de leurs propres affaires pour songer beaucoup à celles de leur ancienne patrie. Ces colons d’origine néerlandaise, coupés d’un sixième de sang français, se mirent bientôt à détester John Bull, mais ce ne fut pas l’effet d’une disposition préexistante. L’impopularité du régime britannique, d’abord accepté de bonne grâce, eut des causes spéciales, étrangères à toute sentimentalité ; elle vint de ce qu’on ne pouvait pas, des bords de la Tamise, gouverner une société entièrement différente des autres sans commettre de nombreuses erreurs, malgré les meilleures intentions du monde.

Les Hollandais du Cap, certainement, ne virent pas sans jalousie