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erreurs provenaient du mode d’administration qui laissait la colonie sans voix consultative. Aussitôt après, un cri s’éleva de toutes parts : le War Office manque de renseignemens ; assez de bévues comme cela ; qu’on veuille donc bien enfin nous écouter un peu ! même quand on est militaire ! Chose autrement significative, des Anglais prirent la tête de cette agitation. L’Anglais, ou plutôt l’Écossais Thomas Pringle, le poète lyrique du Cap, et avec lui le journaliste Greig, l’avocat Fairbairn, avaient déjà réclamé, obtenu la liberté de la presse. Une pétition pour l’établissement d’un conseil électif avait été soumise au gouvernement métropolitain dès 1827, puis renouvelée à divers intervalles. Maintenant les instances, plus pressantes, partaient de meetings où les orateurs les moins entraînans n’étaient pas ceux d’extraction britannique. Mais bien des années allaient passer encore, sept ou huit gouverneurs devaient se succéder, les maladresses s’accumuler, avant la chute des dernières résistances. On ne se résignait pas à comprendre l’évidente nécessité de satisfaire en quelque mesure au vœu légitime des colons. On redoutait leur esprit de conquête ; il risquait, pensait-on, de mener l’Angleterre trop loin et de lui coûter trop cher. Avec cela, sous cette anxieuse tutelle, la guerre, comme le chiendent, repoussait toujours. Les campagnes de Cafrerie, quoique menées à l’aide de faibles effectifs, épuisaient la caisse qu’un parlement affamé d’économie alimentait en rechignant.

Il y avait alors à Londres les hommes d’État de l’ancienne école, les derniers chevaliers du vieux torysme : ceux-là fronçaient le sourcil, expliquaient le soulèvement des colonies américaines par la semi-indépendance qu’on leur avait laissée, l’insurrection récente du Bas-Canada par trop de complaisance pour des gens de fidélité suspecte ; ils ne se souciaient pas de recommencer au Cap. Il y avait les whigs, plus disposés à ouvrir l’oreille ; mais pour eux également, c’était chose grave de céder aux colons une part des prérogatives métropolitaines, sans trop savoir ce qui en résulterait. Entre les deux grandissait un parti de conservateurs libéraux, avec Robert Peel et M. Gladstone, et justement parce qu’il venait du torysme, il devait dépasser les whigs. Tous, du reste, avaient fini par se sentir profondément las des affaires du Cap.

Voilà quelles étaient les dispositions de la colonie, de la métropole et de l’opinion anglaise lorsqu’un méchant caillou heurté sur sa route fit verser, en 1849, ce char qui ne roulait plus qu’avec des grincemens de mauvais augure.

Lord John Russell présidait le cabinet de cette époque. Il n’avait pas encore pour collaborateur attitré M. Gladstone, qui venait de jouer un si grand rôle dans le second ministère de sir Robert