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Sous le règne de François Ier, les Parisiens, au lieu de dire un oiseau, se mirent à prononcer un oireau, et au lieu de Je suis bien aise, ils firent entendre Je suis bien aire. Par un changement inverse, les r furent transformées en s ou en z. Paris, mari, se prononcèrent Pazis, mazi. La maladie venait de loin : elle avait commencé deux siècles auparavant dans le Roussillon, elle monta lentement du sud au nord par le Languedoc, la Basse-Auvergne l’Orléanais, gagna l’Île-de-France et finit par s’étendre jusqu’aux îles normandes. Le poète Clément Marot, ou quelque écrivain du même temps, en tira la matière d’une satire qui nous a été conservée. C’est l’Épistre du biau fys de Pazy :

 
Madame, je vous raime tant !
Mais ne le dites pas pourtant,
Les musailles ont des rozeilles.
...............................
Je chante comme un pazoquet.
...............................
Ha ! cœur plus dur qu’un potizon !


Il ne faut pas croire que ce fut là une pure affectation. Notre langue a conservé de cette contagion quelques traces durables. Si les cartes de France inscrivent aujourd’hui des endroits appelés Baroche (anciennement Basoche, Basilica) ; si, d’autre part, il y a une île de Guernesey (au XIIe siècle Guernerey)[1], si nous disons une chaise au lieu d’une chaire (du latin cathedra), des bésicles et non des béricles (de la pierre précieuse nommée beryllus par les Romains), ce sont les restes et comme les marques de la maladie. Elle n’a pas duré pourtant : c’est ce que les mêmes phonéticiens expriment en disant que l’s a été guérie. Mais la guérison même prouve que les lois dont il s’agit n’ont rien d’immuable. Les mouvements de la mode, les fluctuations du goût fourniraient une idée plus exacte de ces revirements de la phonétique.

Ce n’est pas ici le lieu de traiter une question fort controversée entre linguistes, si, oui ou non, les lois de la phonétique sont susceptibles d’exceptions. À vrai dire, nous ne voyons pas très bien où peut conduire ce débat, puisque les exceptions sont reconnues des deux parts : seulement les uns leur font une place, et les autres s’en débarrassent en les récusant sous un prétexte ou sous un autre. Ce sont des mots qui ne doivent pas compter parce qu’ils sont d’origine demi-savante, ou parce qu’ils viennent de quelque

  1. Cette r voisine de z existe encore aujourd’hui dans le patois normand de la Hague. Voir l’étude de M. Jean Fleury, la Presqu’île de la Manche et l’archipel anglo-normand, p. 25.