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constitue le premier fonds d’élémens biographiques un peu sérieux qu’on ait recueillis sur son compte.

Au moment même où Sandrart publiait à Nuremberg son Académie teutonique, par une rencontre assez imprévue, un Italien, Francesco Baldinucci[1], confirmait à Florence la plupart des informations de son devancier, en y ajoutant quelques curieux détails. Connu surtout par son grand ouvrage, Notizie dei Professori del disegno, Baldinucci nous a laissé sous le titre : Cominciumento e progresso dell’ arte dell’ intagliare in rame, une histoire abrégée de l’art de la gravure, dont la première édition est de 1686. Dans ce livre un peu trop oublié et où l’on ne s’attend guère, à cette date, à voir un Italien parler de Rembrandt avec cette impartialité, à côté d’études sur les anciens maîtres de la gravure, Lucas de Leyde, Albert Dürer et Marc Antoine, se trouvent d’autres notices sur les artistes étrangers que Baldinucci a connus personnellement ou sur lesquels il a pu se renseigner, tels que Gallot, Stefano della Bella, Robert Nanteuil parmi les Français ; Bloemaert, Goltzius, Sadeler, etc., parmi les Flamands. Celle de ces notices qu’il a consacrée à Rembrandt contient une foule de particularités auxquelles on n’a pas jusqu’ici, croyons-nous, prêté une attention suffisante. Bien qu’il ne soit pas insensible aux qualités du peintre, c’est surtout l’œuvre du graveur qu’il apprécie, avec une sympathie et une intelligence qu’on est étonné de rencontrer chez un critique assurément mal préparé, par son instruction et le milieu où il vit, à goûter un art aussi original que celui du maître hollandais. C’est d’un esprit singulièrement libre et dégagé de tout préjugé qu’il vante cette manière « qu’on ne trouve chez aucun autre et que seul il a possédée, procédant à l’aide de certains traits, de griffonnemens et de hachures irrégulières, obtenant cependant par son travail un clair-obscur profond, d’une grande puissance et d’un goût tout à fait pittoresque, couvrant par places sa planche d’un noir intense, laissant en d’autres endroits jouer le blanc du papier ; et suivant le degré de coloration qu’il se proposait de donner aux costumes de ses personnages, à ses premiers plans ou à ses lointains, se contentant parfois d’une ombre très légère, et parfois même d’un simple trait, et rien de plus. » Si équitables et si imprévus que soient ces jugemens sous la plume d’un Italien, les détails biographiques qu’il nous transmet sur Rembrandt ont certainement pour nous encore plus d’intérêt. Ces détails, il les tenait d’un élève du maître, un Danois assez nomade, appelé Bernard Keilh, qui, après avoir appris dans son pays

  1. Voir l’étude sur Baldinucci dans Oud-Holland ; VIII, 1890.