Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/721

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pensée de ne pas changer de politique. À la vérité, c’est un remaniement, ce n’est pas un changement de direction, et M. Canovas del Castillo a certes assez de talent, assez d’autorité pour faire tout ce qui sera possible. On ne peut cependant se dissimuler que les ministères ne se fortifient pas en se modifiant, que de plus la retraite de M. Silvela, sans être une menace immédiate pour le cabinet reconstitué, est tout au moins l’attestation visible d’une dissidence dans le parti conservateur. Cette petite crise, assez bénigne en apparence, facilement dénouée, elle a cela de grave et de particulier qu’elle se produit dans un moment où les difficultés les plus sérieuses, les plus pressantes sont peut-être moins dans la politique que dans les affaires financières et économiques. Depuis quelque temps, en effet, la Banque d’Espagne est elle-même dans un véritable état de crise par suite de ses opérations avec le trésor, de ses excès d’émissions, de l’insuffisance de ses réserves métalliques, d’une série de perturbations sur le marché. D’un autre côté, l’Espagne touche à l’expiration définitive de ses traités de commerce et l’incertitude qui en résulte a déjà son influence sur les affaires, sur les intérêts commerciaux et industriels. Tout cela se mêlant, se combinant, crée une situation qui n’est certes rien moins qu’aisée et où l’habile chef du ministère reconstitué n’aura pas trop de toute son autorité, de toute sa prévoyance, de toute sa résolution pour adoucir la crise que traverse l’Espagne.

Les révolutions ont leur destin, surtout dans le nouveau monde. On ne sait jamais ce qu’elles deviendront, où elles conduiront. Évidemment la révolution qui a fait du vaste empire brésilien une république n’a pas été heureuse jusqu’ici. On peut dire que la crise qui a décidé il y a deux ans cette hasardeuse transformation n’a pas cessé un seul instant, et ce n’est pas fini, puisqu’en quelques jours le Brésil est passé d’une pseudo-légalité au régime militaire, d’une dictature à une autre dictature par une sédition nouvelle. Les coups d’État s’enchaînent ! Au premier moment, il y a trois semaines, lorsque le président Deodoro da Fonseca s’est décidé, sans plus de façon, à dissoudre militairement le congrès et à suspendre toutes les libertés, il a paru avoir réussi. On a pu le croire, d’autant plus que dans le silence de l’état de siège on ne pouvait plus savoir ce qui en était. La vérité cependant n’a pas tardé à se faire jour, les mécontentemens et la résistance ont commencé à se manifester un peu de toutes parts. Une véritable insurrection a éclaté dans l’immense province de Rio-Grande de Sul, qui confine à l’Uruguay. Elle s’est rapidement propagée et elle est restée bientôt à peu près maîtresse de la région du Sud, tandis que dans le Nord l’agitation gagnait les provinces de Para, de Saint-Paul. Tout faisait prévoir un vaste mouvement provincial. D’un autre côté, à Rio-de-Janeiro même, l’adhésion au coup d’État restait fort douteuse. On s’était soumis par habitude ou par crainte. L’armée, qui était le seul