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avec une colombe lui parlant à l’oreille. La symbolique colombe va-t-elle souffler aux successeurs de Grégoire le Grand les vérités économiques avec les vérités théologiques ? et les héritiers d’Adam Smith et de J.-B. Say devront-ils se borner au commentaire des paroles pontificales ? Dans ce cas, il faudrait ajouter au catéchisme un chapitre sur les vérités et les erreurs économiques. Cela, paraît-il, est déjà fait ; certains ecclésiastiques ont, du moins, réduit les leçons de Léon XIII en formules à apprendre par cœur[1].

Il nous semble, quant à nous, que, au point de vue théologique même, il y aurait, dans les encycliques de Léon XIII, une distinction à faire entre la partie morale et la partie économique des enseignemens du souverain pontife. Pour la morale, aucun doute : d’après la tradition et les conciles, elle rentre assurément dans les attributions de l’Église et du saint-siège. Qu’il s’agisse de morale sociale ou de morale privée, les préceptes du siège apostolique ont, pour le croyant, la même valeur ; ils ont force de loi, ils sont sans appel. En est-il de même des doctrines économiques ? Cela, je l’avoue, me paraîtrait une nouveauté : ce serait étendre la sphère de l’infaillibilité pontificale à des matières que, d’habitude, les théologiens n’y faisaient pas rentrer. Rassurons-nous, du reste, l’encyclique Rerum novarum est bien moins une leçon d’économie politique qu’une instruction morale. Le saint-père s’y tient, de préférence, sur le terrain où l’incrédule même aurait mauvaise grâce à nier sa compétence. Dans ces irritantes questions sociales, obscurcies par l’égoïsme d’en haut et par l’égoïsme d’en bas, le père commun s’attache surtout aux principes de morale, au point de droit. Son encyclique est, avant tout, un code de morale sociale. Le pape, du haut de la chaire de vérité, énonce les principes de justice que, dans les rapports sociaux, les chrétiens doivent toujours avoir dans leur cœur ; — et, en même temps que ces principes, il indique, sans prétendre l’imposer, la méthode qui lui paraît la plus apte à en assurer l’application. S’il vient à toucher les questions proprement économiques, questions d’ordre pratique surtout, avec quel tact, avec quelle mesure il le fait ! et cela, en s’appuyant sur la raison et les vérités d’ordre naturel, plutôt que sur les vérités révélées. Lui, le docteur par excellence, il semble alors éviter de dogmatiser ; il se défend, au besoin, de nous apporter des solutions toutes faites ; il nous renvoie aux leçons de l’expérience et à l’étude des faits. Ce n’est pas ainsi, nous paraît-il, que se libellent les dogmes. Sur les points les plus contestés, on

  1. Un prélat français, Mgr Lecot, a ainsi tiré de l’encyclique Rerum novarum un catéchisme qui, assure-t-on, ne contient pas moins de cent trente-six questions.