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à retenir, car, sur ce point il est difficile aux catholiques de ne pas raisonner partout comme l’orateur de Malines.

Aucun doute, en effet ; le socialisme a été formellement et nominativement réprouvé par le pape Léon XIII. En cela, du reste, Léon XIII n’a fait que renouveler les condamnations portées par ses prédécesseurs, par le pape Pie IX notamment. Le socialisme était une des « pestes » anathématisées par le Syllabus. Pour Léon XIII, comme pour Pie IX, socialisme est demeuré synonyme de communisme ou de collectivisme. Le siège apostolique ne s’est pas prêté à l’équivoque de tant de bonnes gens qui, voyant dans ce mot une amorce pour la pêche des suffrages ou un miroir à alouettes pour la chasse aux électeurs, se déclarent bravement socialistes, saut à ajouter une épithète émolliente ou un adverbe adoucissant, comme « sagement socialistes, prudemment socialistes. » Pareille ambiguïté eût été peu digne de la chaire romaine. Le vicaire du Christ ne peut parler aux peuples comme un candidat, du balcon d’un hôtel de ville, ou de l’estrade des réunions publiques. Pour lui, le socialisme est demeuré ce qu’il était pour ses prédécesseurs, une erreur antisociale condamnée par l’Église. En ce temps de contusion, où le scepticisme des ambitieux jongle impudemment avec les mots et les formules, cela seul est une leçon de moralité que la papauté nous donne à tous, d’autant que, en réprouvant ce mot de socialiste, elle s’enlève, sciemment, une prise sur les masses qu’elle prétend reconquérir. Il est bon que les mots gardent le sens que leur avait donné l’usage, — non-seulement, afin qu’en parlant l’on se puisse entendre, mais aussi, parce qu’il est mauvais que les défenseurs et les adversaires de la famille et de la propriété se donnent le même nom et se rangent, même en apparence, sous la même bannière ; — mais, parce qu’on ne désarme point les passions révolutionnaires et les convoitises anarchiques en leur empruntant leur vocabulaire, et que, tout au contraire, en prenant le mot, on risque d’être obligé de subir la chose.

Quand il identifie le socialisme et le collectivisme, le pape, dira-t-on peut-être, fait lui-même une confusion, car à ce vague nom de socialisme, en train de perdre toute signification précise, il donne un sens plus étroit, plus défini, que ne le font beaucoup de ceux qui, en France ou ailleurs, s’intitulent socialistes. Alors même que l’objection aurait quelque fondement, — quand il serait vrai que, en sacrifiant les droits individuels à l’intérêt présumé de la collectivité, tout socialisme n’aboutit pas forcément au collectivisme, — les catholiques les plus pressés de faire intervenir Rome dans les débats économiques ou politiques seraient les