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des Gens, c’est-à-dire de tous les esprits faux, brouillons et ambitieux. On peut supposer que ces Gens désignent les conspirateurs ligués contre le roi, mais ils ne sont pas autrement spécifiés. Les Gens, toutefois, changent assez vite d’humeur et de costume : « Dieu et le roi » les ont transformés, ils vont rester tranquilles et travailler au bonheur commun. Ils prennent donc sur leurs épaules Métier, Marchandise et le Berger, et les élèvent en l’air ; « pensée démocratique, » dit M. Petit de Julleville. Et c’est toute la pièce ; bien faible d’invention, comme on le voit, et singulièrement pauvre en renseignemens sur l’état des esprits. Pas un détail topique, pas un trait frappant dont un historien puisse faire son profit ; pas une allusion claire et nette à un événement déterminé. J’en dirai autant de la bergerie Mieux-que-devant, qui se rapporterait aux vexations exercées sur les paysans par les gens de guerre ; de « la farce nouvelle de Marchandise, Métier, Peu-d’acquêt, le Temps-qui-court et Grosse-dépense, » provoquée par les nouveaux impôts qu’exigeaient les réformes de Charles VII ; du monologue du Pèlerin passant, qui raille innocemment les travers de Louis XII, bon, mais avare ; de la sotie du Nouveau-Monde, dirigée contre la pragmatique sanction, et qui est un pur galimatias ; de la farce de la Résurrection de Jenin Landore, et même de la grande sotie de Pierre Gringore, le Jeu du prince des sots, inspirée, sinon commandée, paraît-il, par le roi lui-même, pour préparer l’opinion à la guerre contre le saint-siège. Dans tout cela, avec la pauvreté ordinaire de l’invention, l’observation est si superficielle, qu’elle ne nous apprend rien que nous ne sachions par ailleurs ; ou, plutôt, au lieu que ces pièces éclairent pour nous l’histoire, c’est par l’histoire seule que nous parvenons à les comprendre.

Mais, si peu qu’il y ait de satire politique dans la comédie du moyen âge, la comédie classique n’en devait rien prendre, sauf avec Beaumarchais, si peu classique lui-même, bien qu’il appartienne à l’ancien répertoire, et fort peu préoccupé du moyen âge. Il est trop certain que, à part cette exception, se voyant interdire tout sujet de ce genre par l’autorité de plus en plus répressive des rois de France, elle ne nous a donné rien de semblable à la comédie d’Aristophane ; même aux époques de trouble et de révolte, c’est par d’autres moyens, — la chanson et le pamphlet notamment, — que la satire politique s’exerçait dans notre pays.

La satire des simples conditions, abstraction faite du pouvoir, devait forcément être moins timide. Que nous apprend-elle et s’est-elle continuée aux siècles suivans ?

« La plus célèbre et la plus piquante » des soties, le Monde, Abus, les Sots, nous présente Abus, faisant naître Sot dissolu,