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et parlent le langage du bel air ; les gueux populaires se sont transformés en valets à la façon latine ou italienne ; les gens de loi ne sont plus des friponneaux en quête d’une robe, mais des hommes d’affaires étourdissant leurs dupes par leur jargon de basoche.

Si les caractères généraux ont été employés par la comédie du moyen âge, c’est toujours pour la même raison : ils font partie du fonds nécessaire et permanent de la comédie, qui sans eux cesserait d’exister ; celle du moyen âge eut donc des avares, des jaloux, des envieux, des hypocrites, etc. Mais quelle pauvreté constante dans l’invention comme dans l’observation, dans les sujets comme dans la mise en œuvre ! Le Sermon joyeux des fous, reprenant l’idée favorite de la sotie, que tous les hommes sont fous, énumère les diverses sortes de fous et cherche à les caractériser : il y a les fous par jalousie qui ont « femme honnête, plaisante et mesnagère fort diligente », innocente surtout, et qui, cependant, la soupçonnent ; il y a les amoureux qui errent la nuit, par les rues, affrontant la pluie, le vent et le froid, pour entrevoir leurs belles à travers une fenêtre ; il y a des fous de contrée et de région, les Allemands et les Angevins qui sont ivrognes, les Picards, coureurs de femmes, les Gascons, fous légers, les Poitevins, fous rusés, etc. ; enfin les fous de profession. Aucune espèce, du reste, n’est caractérisée en traits plus expressifs ni plus profonds, et c’est à cette sèche nomenclature que se borne l’observation comique du moyen âge. La farce des Bâtards de Caux combine la comédie de caractère avec la comédie de mœurs ; elle met en scène le droit d’aînesse, mauvaise loi, qui « à l’un donne tout le bien », et aux autres « rien trétous » ; d’où l’avarice chez l’aîné, qui, libre de pourvoir ses frères et sœurs à sa guise, les traite de façon dérisoire : de l’un il fait un marchand d’allumettes ; à l’autre, qui veut être prêtre, il dit des injures ; à sa sœur, qui veut s’établir, il donne quelques légumes, une ceinture, deux couteaux et deux chemises. Et voilà une étude de l’avarice, déterminée par un milieu et des institutions particulières. La sotie de la Folle Bombance met en action cette vérité qu’il ne faut pas tout sacrifier au luxe, au plaisir et à la bonne chère, et nous donne, par surcroît, comme une esquisse du Bourgeois gentilhomme, avec le marchand qui vend ses bœufs pour s’habiller à la mode, « vestir le velours, porter robes fourrées, des pourpoints de satin à grandes manches, des chemises blanches de Hollande et des collets à la mode napolitaine. » C’est tout, et tel est le degré d’exactitude, de relief et de finesse avec lesquels, au temps de Louis XII, la comédie prétendait représenter un ancêtre de M. Jourdain.

Ces informes essais nous sont pourtant offerts comme les