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aux lettrés, elle doit valoir par elle-même et sa valeur littéraire ne dépend pas de la culture intellectuelle de ceux qui s’y plaisent. L’Iliade et l’Odyssée, œuvres puissantes et gracieuses, s’adressaient au peuple et elles le charmaient, parce que ce peuple était capable de les goûter ; de même, les moralités, les soties et les farces, œuvres grossières et de médiocre valeur, plaisaient au public du moyen âge, peuple ou seigneurs, parce qu’il était grossier comme elles. Le style, est-on forcé de le redire ? c’est le degré d’énergie et de clarté, de couleur et de justesse auquel le génie ou le talent peuvent relever nos pensées, indifférentes en elles-mêmes et qui, sans lui, seraient comme si elles n’existaient pas ; l’arrangement, c’est l’ordre et la lumière mis dans le résultat confus de notre activité morale, dans l’expression de nos sentimens et de nos passions, semblables comme essence, partant indifférentes, chez tous les hommes, jusqu’à ce que l’originalité d’une nature ou d’un talent, chez celui qui agit ou chez celui qui raconte, leur ait valu l’intérêt. Et c’est justement parce que le moyen âge n’a pas eu le don du style et de l’arrangement qu’il a fait si rarement œuvre littéraire ; c’est lorsque, par hasard, il les a rencontrés qu’il a laissé quelques vers, quelques phrases dignes de durer et de faire que, somme toute, il a une littérature et une existence littéraire. La distinction des genres, c’est la notion que la littérature prend d’elle-même, de ses moyens et de son but, par l’expérience et la réflexion ; c’est la forme littéraire de l’ordre et de la méthode, sans lesquels il n’y a pas plus de littérature qu’il n’y a de science. Et cette conception n’est ni fausse ni factice ; résultat de l’activité de l’esprit, elle est d’autant plus rigoureuse que cette activité est plus puissante et plus heureuse dans ses résultats ; elle atteste en se produisant, que l’esprit prend notion de lui-même et que la virilité succède à l’enfance. Si le XVIe siècle a pu nous rendre le style, l’arrangement et la distinction des genres, c’est que l’esprit français s’émancipait enfin, à la notion pleinement retrouvée de l’antiquité. Ne regrettons pas, au point de vue du théâtre, l’effort séculaire de la Renaissance pour trouver une forme nouvelle, durable et féconde, puisque cette forme elle l’a trouvée, et que, ici comme en tout, ce n’est pas la durée de l’effort qui importe, mais le résultat. Sans doute, la littérature nouvelle n’est pas sortie seule de notre sol ; il a fallu que ce sol fût fécondé par des germes