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brisée des traditions ne peut plus se renouer ; les exemples de nos devanciers, interrompus dans leur évolution nécessaire, ne peuvent plus nous guider parmi les difficultés présentes, et, pour refaire notre éducation, c’est auprès de l’étranger que nous devons nous instruire.

Il est beaucoup de gens à qui l’aveu de notre infériorité paraîtra sacrilège, comme la prétention de nous en relever par l’étude paraîtra ridicule. On aurait tort de les écouter. « Je blâme également, a dit Pascal, et ceux qui prennent le parti de louer l’homme, et ceux qui le prennent de le blâmer, et ceux qui le prennent de le divertir, et je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant. » Nous ne voulons ni critiquer notre pays en exaltant ses rivaux, ni le décevoir en lui cachant leurs mérites ; nous prétendons chercher et ne pas taire la vérité. Notre but est de comparer et notre ambition serait d’instruire. La France, dans les méthodes plutôt que dans les entreprises coloniales, s’est laissé distancer par ses émules, et la tâche est pénible, mais urgente, de lui dire la sagesse et le succès de ceux dont, autrefois, elle était et méritait d’être le modèle.

Toutefois, décidés à étudier, sachons diriger nos études et ne nous exagérons pas le profit à en retirer. Nous n’allons pas trouver chez l’étranger des lois, des règlemens, une conduite à imiter soudain et sans y rien changer. La politique coloniale d’aucun peuple n’est exempte de fautes, même grossières. Toutes les métropoles se sont montrées imprévoyantes, ignorantes, injustes ; tous les gouvernemens insoucians, indifférens, maladroits. L’Angleterre elle-même a, tout le long de son histoire, commis des erreurs monstrueuses. Elle possède toutefois deux biens dont elle pourra nous faire part : le premier, une expérience trois fois séculaire, ininterrompue et contemporaine, dont on pourrait, après des tâtonnemens, dégager certaines règles de conduite aujourd’hui peu contestables ; et le second, une juste défiance du fonctionnaire improvisé et le sentiment, cent fois confirmé, que ni les règlemens « tutélaires » ni même ces dons admirables qu’on appelle bon sens, puissance de travail, force d’assimilation, et facilité ne sont, à eux seuls, des guides suffisans dans la conduite des affaires coloniales, ne peuvent suppléer l’expérience acquise, ou seulement l’étude de l’expérience d’autrui.

Voilà peut-être tout ce que la première puissance coloniale du monde aura à nous apprendre. Si peu que ce soit, tâchons du moins de bien l’entendre. Ce n’est déjà pas si aisé.

Les études comparées, en général si fécondes, sont en même temps grosses de dangers ; aucune peut-être ne l’est davantage que l’étude comparée des méthodes coloniales. Des facteurs