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raisonnable, a eu la joie de voir ses deux uniques descendans arriver aux plus hautes situations. La masse des ouvriers acceptera la doctrine qu’on lui prêche d’autant plus facilement qu’en vertu même des efforts heureux faits pour élever sa moralité, la différence qui existait entre elle et la classe moyenne tend à s’amoindrir. Le travailleur anglais, surtout quand il est affilié à une petite congrégation protestante dont les membres exercent les uns sur les autres une grande surveillance, tient à passer pour un gentleman. « Quand vous avez besoin d’un maçon à Londres, nous disait un propriétaire, vous le voyez arriver le matin avec des vêtemens noirs très convenables et du linge immaculé. Il porte son costume de travail dans un paquet, il exige qu’on lui donne une chambre spéciale où il pourra se changer et se laver avant de sortir. » Entre de tels ouvriers et la petite bourgeoisie, il n’y a plus aucune différence. Ils ont pris à celle-ci ses habitudes tranquilles et propres, et l’instinct du calcul. Beaucoup d’Anglais de la classe aisée se félicitent de les voir se convertir aux doctrines de Mme Besant. Ils s’imaginent que la diminution des naissances empêchera une crise sociale d’éclater. Il est à craindre qu’ils ne se trompent. Aucune décroissance de la natalité n’empêchera jamais celui qui vit de son travail de chaque jour de se demander « pourquoi il y a des gens qui mangent la ration de mille personnes, » et de trouver qu’il pourrait, avec ces rations superflues, nourrir sa famille, si considérable qu’elle fut.

La vérité est que l’Angleterre commence à être congestionnée et qu’elle essaie de se débarrasser de sa population par tous les moyens. Le rapport préliminaire du Registrar General, pour l’année 1891, accuse un mouvement d’émigration plus considérable pour les dix dernières années que celui qui eut lieu dans les précédentes périodes décennales. De 1881 à 1891, plus de 600,000 Anglais ont quitté leur patrie sans esprit de retour. Mais cette saignée n’a pas empêché le restreint malthusianiste d’agir. Les naissances ont diminué. Elles sont de 288,000 têtes en dessous des prévisions faites d’après la moyenne de 1881. Il faut ajouter que les rapports précédens signalent un phénomène accessoire intéressant. La proportion des personnes mariées pour 1,000 est tombée de 17 en 1874 à 14,7 en 1889 ; mais ce dernier chiffre est lui-même un progrès sur les années précédentes, où il était plus bas encore. On dirait qu’effrayés des charges qu’ils auraient à supporter, les timides se sont abstenus du mariage ; ensuite, les individus mariés se sont abstenus d’augmenter leur famille ; et maintenant que cette habitude s’introduit, on va peut-être entrer en ménage plus hardiment.