Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
LE BERRY.


au milieu de laquelle elle vit depuis le lever du soleil jusqu’au lever de la première étoile du soir. Leur propension à croire aux êtres surnaturels n’en est-elle pas une preuve ? Peut-être n’y a-t-il pas de dérèglement d’imagination, excès d’une aimable naïveté, sans un grand fond de poésie.

Et des traditions antiques, des anciens usages, que reste-t-il ? Dans les cités, rien ; dans les campagnes, bien peu. Il est des fêtes où les habitans des campagnes et des petites villes se rendent en masse à quelque sanctuaire de vierge en renom, soit pour la prier qu’elle daigne faire cesser un fléau, une sécheresse qui brûle les moissons, ou de sauver de la phtisie un enfant chétif et malingre. Jusqu’à présent, depuis bien des siècles, Notre-Dame de Vaudoan est la plus accréditée. La chapelle est située au milieu d’une brande déserte, non loin du château de Briantes, l’ancienne demeure seigneuriale des Beaux Messieurs de Bois-Doré. Elle fut fondée en 1291, pillée en 1569 par les calvinistes, puis restaurée en 1648. Trente et une paroisses y venaient autrefois en procession. Louis XIII délégua trois gentilshommes de sa cour pour y faire à son intention un pèlerinage.

La fête champêtre de la Gerbaude qui ne se célèbre plus que chez les fermiers riches, tellement le vin est devenu rare, est une réminiscence des fêtes de Cérès, car c’est une gerbe de blé que l’on y glorifie. On entoure cette gerbe dorée par le soleil, de rubans et on la couronne de fleurs ; puis, au pas lent des bœufs, quand du ciel parsemé de claires et pâles étoiles descend le crépuscule sur la plaine embrasée, que les buissons qui bordent le chemin poudreux s’emplissent d’un bruit d’insectes aux élytres frémissantes, les moissonneurs et les glaneuses accompagnent en chantant la gerbe sacrée, la gerbe bénie, jusqu’à son entrée dans la ferme. On la place au centre de la cour, debout, non loin de la table sur laquelle sera servi le dernier souper de la moisson ; et malgré la fatigue des longues journées de travail, les fins chanteux du village entonnent alors à tour de rôle, et parfois jusqu’à l’aube, leurs airs d’amour et de guerre.

Les mariages et les funérailles ont encore un caractère tout particulier. Pour la célébration des premiers, il est d’usage que les grands-parens dépensent en deux ou trois jours de noce presque la totalité de leurs économies. Une cérémonie singulière, celle du chou, est encore pratiquée dans les villages de la Vallée-Noire, et l’allégorie en est, il me semble, un hommage rendu aux vertus villageoises. Les invités, en poussant des cris joyeux, se rendent dans un verger ; là, au son du violon et de la cornemuse, ils s’efforcent d’en arracher le plus plantureux, le plus pommé de tous