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moyen d’observations simples, dans lesquelles l’altération du langage se montre à l’état d’isolement complet. On doit ajouter, aujourd’hui, à l’aphasie motrice de Broca, trois autres formes d’aphasie : la cécité verbale, la surdité verbale et l’agraphie. Ce sont là des entités distinctes et non des effets secondaires, comme on le croyait autrefois. Chacune de ces altérations du langage est produite par une lésion qui lui est propre et qui siège dans l’hémisphère gauche du cerveau, comme la lésion de l’aphasie motrice.

Les faits nouveaux ont élargi la notion ancienne de l’aphasie ; on ne comprend plus sous ce nom les troubles seuls de la parole, mais « toutes les modifications si variées, si subtiles parfois que peut présenter, dans l’état de maladie, la faculté que possède l’homme d’exprimer sa pensée par des signes. » Ces troubles du langage se présentent sous deux formes principales : le malade ne comprend pas la pensée d’autrui ou il n’arrive pas à exprimer la sienne ; en d’autres termes, défaut de perception et défaut d’expression. Nous allons commencer par étudier les altérations qui se produisent dans la perception des signes, en retraçant les principaux caractères de la cécité verbale.

La cécité verbale, comme l’indique l’heureux nom donné à ce symptôme, est une cécité pour les mots seulement ; elle met une personne dans l’impossibilité de comprendre le sens des lettres, des syllabes placées sous ses yeux ; le malade, qui a appris à lire, qui lisait naguère, ne comprend plus rien à la lecture ; les bénéfices de son éducation antérieure sont supprimés, il est devenu un illettré.

Quelle est la cause de ce trouble singulier ? Il ne faut pas la chercher dans une lésion périphérique de l’œil, ou dans une abolition de la fonction visuelle ; le sujet continue à voir, bien qu’il existe le plus souvent, avec la cécité verbale, un obscurcissement d’une partie du champ visuel ; la vue est conservée, et serait en tout cas bien suffisante pour permettre la lecture, car le malade distingue nettement les lettres du livre qu’on place sous ses yeux. Il en reconnaît la silhouette et l’arrangement, il peut les copier ; mais ces lettres n’ont pour lui aucun sens, elles ne lui suggèrent aucune idée ; les caractères écrits de sa propre langue lui donnent la même impression que les caractères d’une langue inconnue, de l’hébreu ou du sanscrit. La cécité verbale consiste donc, au point de vue psychologique, dans une altération de l’opération mentale de la perception ; c’est un ordre particulier de perceptions qui est paralysé, les perceptions visuelles acquises et compliquées de la lecture. Le plus souvent, les autres perceptions visuelles continuent