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mesure, nouvelle en psychologie. Les anciens auteurs ne l’ont pas connue ; pour eux, la mémoire est une faculté unique, toujours identique à elle-même ; ils étaient trop bons observateurs pour n’avoir pas remarqué que chaque personne n’évoque pas avec la même exactitude tous les genres de souvenirs ; mais ces inégalités naturelles des diverses formes de la mémoire étaient mises sur le compte de l’attention et de l’habitude. M. Taine, puis M. Ribot, ont réagi contre cette tendance, M. Charcot a définitivement établi l’existence des mémoires partielles, au moyen d’observations irréfutables. Indiquons maintenant, à la lumière des idées précédentes, comment le langage se constitue. L’enfant apprend sa langue par deux opérations qui, bien qu’elles se mêlent et se combinent de la façon la plus complète, sont distinctes de nature ; il retient les paroles qu’on prononce devant lui, et il essaie de les répéter ; la première opération met en œuvre la mémoire auditive, et la seconde la mémoire motrice d’articulation. Supposons que, voulant apprendre à l’enfant le nom d’un objet nouveau pour lui, on lui montre une cloche ; en même temps on la lui fait toucher et on la fait vibrer à ses oreilles ; on lui donne ainsi un certain nombre de sensations, qui en se groupant dans sa mémoire représenteront l’idée de la cloche ; il aura la notion de l’objet. Si en même temps qu’on lui désigne l’objet, on lui en dit le nom, si on prononce à haute voix le mot : « cloche ! » on provoque une sensation auditive, qui, en se déposant dans sa mémoire, deviendra une image, l’image auditive du mot. L’image auditive s’associant avec l’idée de l’objet, et ceci ne se fait pas sans beaucoup de tâtonnemens et d’erreurs, l’enfant comprendra désormais le sens du mot cloche, quand il l’entendra prononcer ; il aura ce que nous avons appelé de l’audition verbale.

Jusqu’ici la mémoire auditive a seule été sollicitée. Bientôt l’enfant, poussé par ce besoin d’imitation qui lui rend de si grands services, va chercher à prononcer à son tour les mots qu’on lui a appris ; il s’efforce de coordonner les mouvemens de son appareil phonateur pour articuler ce son spécial ; s’il est encore inexpérimenté, il tâtonne, hésite, se trompe, se reprend ; il utilise les sons qu’il articule déjà, il les modifie dans le sens désirable, et le mot est prononcé. Par l’exercice, la coordination se perfectionne ; une trace en reste, ce qu’on appelle aujourd’hui un résidu moteur ; il en résulte qu’à l’avenir l’enfant aura moins de peine à prononcer le même mot, parce qu’il sait comment on doit mouvoir la langue et les lèvres ; bref, il a acquis la mémoire motrice du mot.

Plus tard, l’éducation intervient, l’enfant apprend à lire et à écrire ; ce sont deux modes perfectionnés du langage qui s’acquièrent