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parole ; ainsi le malade dit souvent un mot pour un autre et son langage devient parfois inintelligible (paraphasie).

Nous avons remarqué tout à l’heure que le siège de la lésion qui produit l’aphasie peut en modifier profondément la physionomie et faire apparaître des complications spéciales. C’est là une étude toute récente ; il n’y a pas dix ans qu’on l’a entreprise, et les résultats qu’on a déjà obtenus sont extrêmement curieux ; je voudrais montrer en quoi ils intéressent la psychologie d’une manière spéciale. Les recherches que nous faisons sur les états de conscience nous amènent à constater deux ordres de phénomènes primordiaux dans l’intelligence : des images et des associations. D’autre part, les études que les anatomistes poursuivent à l’aide du microscope et des réactifs sur la structure interne des centres nerveux leur montrent que ces centres sont composés de deux élémens principaux : des cellules et des fibres. Le parallèle entre ces deux ordres de résultats est trop facile à établir pour qu’on l’ait négligé, et grâce à ce parallèle on a cherché à pénétrer dans le mécanisme intime de la substance nerveuse. Je crois qu’on n’a encore trouvé que des hypothèses, et que jusqu’ici les hypothèses faites restent invérifiables ; ces études sont difficiles, pleines d’écueils ; et tel résultat anatomique paraît très simple à interpréter pour un psychologue, tandis que l’histologiste le trouve enveloppé d’obscurité. On doit donc accueillir avec empressement toutes les lumières nouvelles que les études de psychologie sont susceptibles d’apporter. Il faut, ce nous semble, compter sur l’aphasie. Les altérations cérébrales qui produisent ce symptôme présentent cet intérêt qu’elles frappent, dans certains cas, les centres nerveux eux-mêmes, situés dans l’écorce grise du cerveau, et dans d’autres cas, les fibres qui sont placées au-dessous de ces centres et y aboutissent. Il y a donc tantôt lésion isolée des cellules, tantôt lésion isolée des fibres. L’étude comparative des effets psychologiques produits par ces deux espèces de lésions mérite donc un examen attentif ; elle promet beaucoup.

On désigne en Allemagne sous le nom d’aphasies de conductibilité les altérations du langage produites par la seule destruction des fibres ; M. Déjerine, qui depuis plusieurs années étudie cette forme d’aphasie, en a rapporté des exemples typiques ; citons celui d’une malade qui peut lire à haute voix, mais sans comprendre ce qu’elle lit ; la lésion ne porte pas sur le centre de la mémoire visuelle ou auditive, car dans ce cas la lecture ne pourrait pas se faire ; il y a rupture des communications entre les centres des mots et le centre des idées. C’est ce qui se passe aussi chez certains malades qui répètent comme des échos les mots qu’on prononce