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leurs besoins. Ces foires, qui n’ont plus guère leur raison d’être, sauf dans les contrées primitives, mais que nous voyons reparaître cependant dans le cadre attrayant et grandiose des expositions universelles, ont rendu à l’humanité d’incontestables services, parce qu’elles ont montré les avantages du commerce concentré sur le commerce dispersé.

Mais il vint un moment où les centres de population où s’arrêtaient les caravanes devinrent plus nombreux et plus prospères sous l’influence même des échanges qui s’y multipliaient. Les marchands nomades durent prolonger leur séjour, consolider leur installation, puis ils se demandèrent s’ils n’auraient pas intérêt à rester en permanence sur le lieu de leurs transactions et éviter ainsi les frais de déplacement, les risques de pérégrination et les dépenses d’installation sans cesse renouvelées. Beaucoup demeurèrent à poste fixe. Le petit commerce de détail permanent était fondé, marquant la troisième étape de la marche commerciale de l’humanité. Il est probable qu’au début chacun des marchands de détail s’en tenait à la vente d’un ou de deux produits, toujours les mêmes. Le peu de place dont il disposait, la pénurie de capitaux et l’absence de crédit le maintenaient dans une sphère restreinte d’action. Plus tard, lorsque les capitaux devinrent plus abondans, les besoins plus nombreux, les transactions plus faciles, de sévères et minutieux règlemens maintinrent le commerçant dans sa spécialité. Sous aucun prétexte, le savetier ne pouvait empiéter sur le domaine du cordonnier, ni l’épicier sur celui du droguiste. Le nombre des apprentis et des commis était limité et des dispositions méticuleuses empêchaient le commerçant de donner à ses affaires un développement subversif. Raconter les luttes que cet état de choses a provoquées, énumérer les édits et les ordonnances qu’il a motivés, ce serait refaire l’histoire du travail sous l’ancien régime et revenir inutilement sur des faits trop connus.

Avec la proclamation de la liberté du travail, le commerçant retrouva la disposition de ses mouvemens, mais il fut long à en profiter. Ce n’est pas du jour au lendemain, en effet, que les mœurs se modifient et que les usages commerciaux se transforment. Il faut une longue suite d’efforts répétés par plusieurs générations, il faut de lourds sacrifices pour qu’un commerce s’étende et découvre de nouveaux débouchés. Les circonstances, d’ailleurs, qui suivirent l’abolition des jurandes n’étaient pas favorables au développement du commerce, qui ne s’accommodait pas des troubles de la révolution et des guerres incessantes de l’empire. Cependant, dès les premières années de la Restauration, on vit grandir à Paris des magasins qui ne se contentaient plus de la clientèle de