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français, et les grands magasins, fidèles à leurs engagemens, absorbent la majeure partie de la production : le surplus est exporté à l’étranger.

Loin d’avoir été les protecteurs de l’industrie étrangère, les grands magasins ont, au contraire, contribué pour une part considérable au développement de notre commerce extérieur. Par la splendeur de leurs installations, la variété de leurs produits, la concentration de tous les services et les facilités accordées à l’acheteur, ils ont su non-seulement s’attacher la clientèle du public français, mais encore attirer les étrangers du monde entier. Ils ont créé à Paris une sorte d’exposition permanente dont les attraits ne sont guère inférieurs à ceux des expositions universelles. Pas un étranger ne passe à Paris sans visiter ces magasins dont il a si souvent entendu parler. Il veut voir de près ces gigantesques palais, où toutes les munificences de l’industrie sont mises en œuvre avec un art consommé. Il ne se contente pas de visiter, il fait des emplettes pour son compte et pour celui de ses amis et voisins qui l’ont chargé de mille commissions. Ce même étranger, s’il ne trouvait pas tous les objets sous la main, s’il était obligé de courir dans dix, vingt magasins, où les prix ne sont pas marqués, et où, en sa qualité d’exotique, ne connaissant qu’imparfaitement notre langue, il craindrait, non sans raison parfois, de se faire exploiter, consacrerait-il une semaine entière à courir les boutiques et dépenserait-il la même somme en achats ? C’est ainsi que les grands magasins ont réalisé cette loi du progrès : beaucoup faire, tout faire et bien faire à bon marché. Affaiblir les grands magasins, gêner leur expansion ou grever de frais exorbitans leur exploitation, c’est rompre ce bel ensemble commercial, c’est risquer de chasser quelques-uns de ces articles essentiels de vente et suspendre ainsi l’exercice de cette faculté de tout vendre à la fois, qui est la caractéristique et le privilège péniblement conquis et glorieusement conservé de la grande place parisienne.


IV.

Est-il vrai, comme on le prétend, que l’existence des grands magasins est incompatible avec celle des moyens et des petits, qu’ils empêchent toute concurrence, qu’ils détruisent toute initiative privée et qu’à un moment donné ils seront les maîtres d’imposer leurs conditions au public qui, faute de concurrence, sera forcé de les subir ? Ce qui frappe dans les récriminations dirigées contre les grands magasins, c’est leur analogie avec les récriminations qui, de tout temps et dans tous les pays, ont assailli la mise en pratique d’une