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LES DUPOURQUET.


— Qu’attendez-vous donc pour aimer, vous qui sentez si bien ce que doit être l’amour !

Elle eut un petit rire impertinent qui semblait le défier : — Mais j’attends l’occasion… honnête, répondit-elle, elle ne se trouve pas tous les jours, comme vous voyez…

Il lui saisit la main brusquement :

— Parce qu’on ne vous connaît pas, entendez-vous, parce que vous n’avez jamais dit à personne ce que vous venez de me dire à moi. Quel est donc l’homme qui résisterait à votre charme si pénétrant quand vous voulez être vous-même ! Moi, je ne vous ai pas soupçonnée d’abord ; je vous prenais pour une petite pensionnaire poseuse, coulée au même moule que les autres avec l’esprit faux, les yeux fuyans et des idées de l’autre monde, et je m’aperçois que vous êtes la plus séduisante, la plus adorable des femmes.

Elle répliqua de son air mutin :

— C’est très flatteur ce que vous me dites là, et je vous en remercie, votre opinion a infiniment de prix pour moi… Oui, mais avec tout ça, je l’attends toujours, l’occasion honnête.

— Elle naîtra quand vous voudrez, vous le savez bien.

— Croyez-vous ! Bah ! les amoureux d’aujourd’hui sont si pratiques, si « fin de siècle, » comme on dit. Il leur importe peu qu’une femme ait des avantages physiques ou quelque supériorité morale, si elle ne sanctionne cela d’un apport jugé suffisant. Ce qu’il leur faut, ce n’est pas l’amour, c’est l’argent ; on nous marchande longtemps avant de nous prendre, comme le bétail en foire…

George avait desserré son étreinte, il balbutia dans un sourire contraint, les pommettes avivées de rouge :

— C’est pour moi que vous dites cela ?

— Pour vous ?.. Oh ! non, vous !..

Elle joignit ses mains, le regarda avec une si éloquente admiration, une telle ferveur d’amour qu’il comprit que toute audace était permise, qu’il n’avait qu’à ouvrir les bras pour qu’elle y tombât.

Alors il lui entoura la taille, l’attira à lui si violemment, qu’elle en jeta un faible cri comme si la respiration lui manquait. — C’est donc moi que vous aimez, murmura-t-il, moi que vous avez choisi !

Elle se raidissait maintenant luttant contre le désir de cet homme qui l’envahissait à son tour ; ses narines palpitaient dans un spasme, des larmes vinrent à ses yeux.

— George, je vous en prie, laissez-moi, vous savez bien que c’est impossible !

Il lui ferma la bouche d’un long baiser où dans leurs souffles unis leurs âmes se fondirent.