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sortir de terre un escalier, qui n’a pas été pour moi ce que l’escalier de l’Acropole fut pour Beulé, la bonne femme exprima sa joie par des cris et déclara qu’elle viendrait laver, « avec du savon,» ces degrés de marbre. Mais bientôt, s’imaginant que son terrain contenait des trésors, elle éleva des prétentions extraordinaires. Elle voulait 100 drachmes, 1,000 drachmes, le plus de drachmes possible. Sans quoi, elle nous menaçait d’arrêter nos travaux. Les exhortations du pappas, les menaces de Kharalambos, les objections timides de l’éphore, les balbutiemens de l’épistate, qui manquait d’éloquence, l’énumération des sommes que j’avais données et des conventions qui avaient été conclues, tout cela se heurta vainement contre l’obstination de la vieille, que le pappas soupçonnait d’être conseillée par des κακοήθεις ἀνθρώποι, autrement dit, des hommes malintentionnés. Il était visible que la vieille attendait la venue d’un marchand d’antiquités d’Athènes, pour continuer les tranchées commencées par moi ; aussi je ne me fis aucun scrupule de passer outre à ses interdictions.

Alors une scène grave se passa. Un matin, le mont Saint-Élie découpait, plus nettement que jamais, dans l’air transparent, son triangle gris perle ; les sentiers luisaient ; j’étais assis entre deux pierres, occupé à jouir de ces douceurs tièdes, et à m’épanouir à l’aise dans une oisiveté ensoleillée. Quelques instans après, le sifflet de Kharalambos vibra, bref et aigu, et les pioches recommencèrent à retomber lourdement le long des fosses. Tout à coup, Maroullia, à qui ses conseillers ordinaires avaient sans doute monté la tête, arrive, jappant et gesticulant comme une chienne sauvage :

Παύσετε κατὰ νόμον ! Παύσετε κατὰ νόμον ! Cessez, au nom de la loi ! Cessez, au nom de la loi !

Kharalambos, méprisant, ne répond même pas. L’épistate Stratakis monte sur une pierre et bégaie en phrases solennelles que c’est le gouvernement, le ministère qui a résolu de retourner son champ, qu’elle sera punie de sa complicité avec les brocanteurs « qui déterrent secrètement et vont vendre au loin les antiquités de la patrie ! »

Les ouvriers continuent à piocher avec une sournoise ironie. Maroullia s’en va comme une folle et dévale le long des flancs pierreux de la montagne avec une légèreté de chèvre... Trois ou quatre heures après, le pappas Prasinos, qui guettait l’horizon, signale sur le chemin de Khora un groupe animé qui descend les pentes avec précipitation. C’est encore Maroullia, accompagnée, cette fois, par l’énomotarque de la gendarmerie et par le grammateus (secrétaire) du juge de paix ; la fille de Maroullia et le chien blanc de M. le secrétaire suivent, tout essoufflés, le gros de la troupe.