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Depuis quelques jours, le pappas Prasinos était, contre sa coutume, taciturne, sombre et mélancolique. Il tirait sa barbe grise. Il ne mangeait presque plus, et, quand il avait tendu son flacon de raki à la compagnie, il le remettait dans sa poche sans y toucher. Il ne racontait plus d’histoires sur les caloyères[1] de Naxos. J’essayais de le dérider en lui faisant lire des inscriptions et en lui faisant boire du vin de Santorin. Mais toutes mes tentatives étaient inutiles. Il n’avait plus son kief comme disent les Turcs ; sa tristesse était noire et incurable. Je résolus, un soir, de savoir le mot de cette énigme, et j’interrogeai le pappas :

— Papa Dimitraki, qu’as-tu ?

— Je n’ai rien. Que veux-tu que j’aie ?

— Papa Dimitraki, qu’as-tu ?

— Je n’ai rien. J’ai un peu mal à la tête.

— Papa Dimitraki, tu as autre chose.

— Par la Panaghia, que croit donc ta noblesse ?

— Je ne sais pas, mais il est arrivé quelque chose.

— Eh bien ! Kyrie je te dirai ce qui me fait de la peine. Mais ne le dis pas à l’éphore.

— Pourquoi ne veux-tu pas que je le dise à l’éphore ?

Sans répondre, le pappas Prasinos m’emmena dans un champ, le long de la mer, loin des dernières maisons du village. La lune claire argentait les eaux tranquilles qui clapotaient faiblement le long des roches.

— Kyrie, reprit le pappas, mon cœur est très peiné par une chose qui vient d’arriver là-haut, à Arcésiné.

— Qu’est-il donc arrivé ?

— Tu sais bien, le jour où les ouvriers piochaient sur l’acropole. Tu avais mis cinq hommes, près de la chapelle, dans un petit champ. Et, ce jour-là, je te montrai une monnaie byzantine, que l’on avait trouvée dans la terre.

— Oui, mais que veux-tu dire par là ?

— C’est que, vois-tu, kyrie, on n’avait pas trouvé une monnaie byzantine. On en avait trouvé plusieurs.

— Alors, où sont-elles ?

— Tu vas voir.

En disant ces paroles, il ouvrit sa soutane de grosse serge bleue, et sortit d’un petit sac de cuir qu’il portait sur la peau, un coquillage, engagé dans une gangue de terre grise. Il gratta l’intérieur du coquillage avec son ongle, et en fit jaillir une monnaie d’or, puis deux, puis trois, puis une dizaine. Les jolies pièces d’or tintaient dans sa main et luisaient au clair de lune, et l’on voyait

  1. Religieuses.