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CHARLES PICTET DE ROCHEMONT
ET
SA CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE

Dans le temps où les petits pays étaient des facteurs importans de la politique générale et où les plus grands potentats se souciaient beaucoup de savoir ce qu’on pensait d’eux à Venise, à Berne ou à Zurich, ces villes souveraines ont produit une race d’hommes d’Etat aujourd’hui presque perdue. C’étaient de chauds patriotes, très exclusifs dans leurs affections, passionnés pour le bonheur et la gloire de leur cité, comptant le reste pour rien ou pour peu de chose et mettant de grands talens au service de petits intérêts. Mais les affaires de leur patrie étant mêlées à tous les événemens de l’Europe, ils s’occupaient sans cesse de ce qui se passait au dehors ; ils cherchaient à pénétrer le secret des cabinets étrangers et les intrigues des cours ; ils s’informaient, ils s’enquéraient et, infiniment curieux, ils avaient l’intelligence aussi étendue, aussi cosmopolite que leur cœur était étroit. Quelques-uns avaient le don d’écrire. Quand on fouille dans leurs vieux papiers, on y trouve des vues ingénieuses ou profondes et des commérages, des nouvelles de tout l’univers et toute la gazette de leur quartier.

Un doge de Venise était sans contredit un plus grand personnage qu’un syndic de Genève ; mais à Genève comme à Venise on avait contracté de bonne heure l’habitude de s’intéresser à tout, en rapportant tout à soi. Voltaire disait qu’après avoir attiré pendant cent cinquante ans les regards de l’Europe, après avoir pu dire : Rome et