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restauré, avec les accommodemens qu’exigeaient les circonstances, et tout alla comme devant. Les petits bourgeois se remirent à raisonner, les patriciens recommencèrent à appliquer à l’administration de la petite république leur sagesse accrue et mûrie par de dures expériences. « Je le dis avec un sentiment d’orgueil pour ma patrie, écrivait au secrétaire d’État un Genevois qui venait de courir le monde, il y a plus de talens et de vertus en exercice dans le gouvernement de Genève que dans tous les cabinets des cours de l’Europe. » L’éloge était pompeux ; mais à quelque temps de là Chateaubriand constatait avec surprise que Genève était riche en hommes d’État qui auraient fait bonne figure sur un plus grand théâtre.

Le Genevois qui rendait cet hommage à ses compatriotes, Charles Pictet de Rochemont, avait été en 1814 député par eux au congrès de Vienne pour y solliciter l’annexion de Genève à la confédération helvétique ; et après Waterloo il fut envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la Suisse à Paris, puis à Turin. Sa correspondance diplomatique, qu’un de ses petits-fils, M. Edmond Pictet, vient de publier, en l’accompagnant d’une intéressante biographie, mérite d’être connue. Pictet de Rochemont était un de ces hommes de second plan dont le mérite semble supérieur à leur destinée et qui pourtant n’ont jamais rêvé d’être autre chose que ce qu’ils étaient[1].

Né à Genève en 1755, il appartenait à une famille d’origine française, qui, à dater de son admission au droit de cité, avait presque constamment fourni des magistrats à la république. Son père était devenu colonel-commandant d’un régiment suisse à la solde des états-généraux de Hollande ; il comptait trente-sept années de services et dix-huit campagnes. Quand son fils eut vingt ans, il lui procura une sous-lieutenance en France, dans le régiment de Diesbach. En 1785, ce lieutenant, devenu major, se décida à quitter le service et revint se marier dans son pays avec la fille cadette d’Ami de Rochemont, conseiller et secrétaire d’État. Ainsi que beaucoup de ses compatriotes, tout en faisant cas du beau, il avait un secret mépris pour ce qui ne sert à rien. Peu après son mariage, il exposait un modèle de marmite économique, et il s’occupait d’introduire à Genève la fabrication de la poterie fine. En 1796, il fondera la Bibliothèque britannique, et comme le remarque son petit-fils, il l’emploiera à propager les inventions, les découvertes, les méthodes utiles à l’humanité.

Il avait le goût des champs et de ce qu’il appelait « la sainte agriculture ; » il s’en fit à la fois un métier lucratif et la meilleure de ses

  1. Biographie, travaux et correspondance de C. Pictet de Rochemont, par Edmond Pictet. Genève-Bâle-Lyon, 1892 ; H. Georg.