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d’être ; — et leurs auteurs de les avoir écrits. Si les savans, par cet aveu « dépouillé d’artifice, » ne craignaient pas de compromettre auprès de quelques ignorans le prestige de leur science, on serait étonné d’apprendre de combien d’expériences manquées, de combien d’essais avortés, de combien de calculs trompés, leurs plus belles découvertes sont faites. Il n’en va pas autrement dans l’histoire de la littérature et de l’art. Le roman que vous jugez médiocre, et qui l’est effectivement, il se peut qu’un chef-d’œuvre y soit comme enveloppé, pour des yeux qui l’y verront un jour. Laissez faire au temps. Ne vous défiez que de ceux qui proposent leurs nouveautés comme telles, puisque le génie même n’a qu’une idée confuse du progrès dont il est l’ouvrier. On ne forme pas le dessein de renouveler le théâtre ou de « rénover » le vers français, et l’évolution se fait sans qu’on y pense. Mais, romanciers ou poètes, ceux qui n’ont d’ambition que de faire ce que leurs prédécesseurs ont fait avant eux ; d’y ajouter leur personne à leur tour et d’empêcher ainsi que l’art ne se prescrive ou que la tradition ne s’interrompe, ceux-là, ni leur effort, ni leur travail ne seront entièrement perdus. Et c’est pourquoi, s’ils étaient plus nombreux encore, je doute, en y réfléchissant de plus près, qu’il fallût avoir peur de leur nombre.

L’occasion serait belle, — si je le voulais, — de faire ici reparaître « les compagnons de la vie nouvelle ; » mais, s’ils le veulent bien eux aussi, je les réserverai pour une autre et plus ample occasion. Ce qui me semble en effet plus utile, c’est d’essayer de préciser le sens de ce mot même de « littérature, » plus large, à notre avis, et surtout plus profond que ne le paraissent croire d’une part quelques romanciers ou quelques symbolistes, et d’autre part M. Rousse lui-même. Si nous ne pouvons sans doute admettre, avec M. de Goncourt, par exemple, que la « littérature » se réduise à noter des sensations rares au moyen d’une écriture artiste, laisserons-nous croire à M. Rousse qu’on ait fait œuvre de « littérature, » quand on a mis du bon français sur des pensées ingénues ? Si la comédie, le roman et le drame ne sont pas, comme le croit M. de Goncourt, toute la « littérature, » admettrons-nous, avec l’Académie, que l’heure soit venue de les chasser de la « littérature, » pour n’y laisser de place qu’aux mémoires des soldats ou qu’aux récits des voyageurs ? On peut essayer de voir d’un peu plus haut les choses. Il ne faut pour cela que de se détacher un peu de soi-même, — comme le demandent les nouveaux mystiques, mais comme d’ailleurs ils ne le font pas ; — ne se soucier ni de plaire ni de déplaire à personne, ce qui semble être malheureusement le principal objet de beaucoup d’écrivains ; et tâcher de ne rien dire qui ne soit également vrai de toute la « littérature » et de toutes les littératures.

Se place-t-on à ce point de vue, il apparaît d’abord que la « littérature, »