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Tesman, en camarade et confrère curieux, demande une lecture pour le soir même. Justement on doit souper entre hommes, chez certain magistrat de la petite ville, l’assesseur Brack. Ce Brack, un viveur, a tourné jadis, comme les autres, autour de la belle Hedda ; le moment lui paraît venu de pêcher dans l’eau, déjà trouble, du jeune ménage. Il s’en explique avec Hedda, qui ne répond ni oui ni non à ses offres hardies. Ce n’est pas à Brack qu’elle en veut ; c’est à l’autre. Et que lui veut-elle ? Ah ! si on le savait ! Mais voilà, on ne le sait pas et on ne le saura jamais au juste. En tout cas, plus de mal que de bien.

Eylert, se sentant faible, a refusé l’invitation de l’assesseur. Il fuit la tentation ; mais Hedda l’y rejette. Elle le défie d’aller à ce souper ; il y va donc, s’y grise abominablement et perd en rentrant ses précieux cahiers. Tesman, qui les a ramassés, les rapporte. Hedda s’en empare, soi-disant pour les rendre à Eylert, qui doit revenir prendre Théa, laissée chez les Tesman pendant le réveillon. Il revient, en effet, après la fête. Honteux, il s’accuse de s’être enivré comme un goujat et, dans son ivresse, d’avoir, non pas égaré (il recule devant l’aveu complet), mais déchiré en mille morceaux et jeté à la mer l’inestimable manuscrit ; il a ruiné l’œuvre de sa vie, sa vie elle-même, et celle de sa compagne. La pauvre Théa s’enfuit en pleurant. Loevborg va se tuer. Il l’annonce à Hedda. Ici, vous n’allez pas comprendre tout de suite, je vous en avertis ; vous ne comprendrez jamais peut-être, mais voici pourtant où nous reviendrons chercher tout à l’heure le sens de la pièce et du personnage d’Hedda, si ce personnage et cette pièce ont un sens : Hedda lui dit donc d’une voix sombre : « Eylert Loevborg, écoutez-moi. Ne pourriez-vous agir en sorte que cela se fît en beauté ? » Puis, ouvrant son secrétaire, elle en tire... quoi donc ? Le manuscrit, qu’elle y a caché ? — Oh ! que non ! Un pistolet, le même dont elle menaça jadis Eylert. Elle le lui remet : « En beauté, Eylert Loevborg ! Promettez-le-moi. » Il sort et dès qu’il a passé le seuil, elle jette le manuscrit au feu.

Eylert s’est tué. L’assesseur Brack, mêlé à l’affaire par ses fonctions de magistrat, vient annoncer le suicide aux Tesman et à Mme Elvsted. Eylert s’est tiré un coup de pistolet ; il agonise à l’hôpital ; nul ne peut être admis auprès de lui. Et voici l’effet de cette nouvelle sur les divers intéressés : après un cri d’horreur et quelques larmes. Mme Elvsted et Tesman se retirent à l’écart et s’asseyent devant une table, sous la lampe. La petite Égérie avait heureusement ses poches bourrées de notes et de documens ; elle ne fait que changer de collaborateur ; avec le second elle reconstituera l’œuvre du premier.

Brack s’est approché d’Hedda. Il a dissimulé devant les autres, mais à elle il peut et doit tout dire : Eylert Loevborg ne s’est pas tué