Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assurer cette neutralité même contre les mouvemens irréguliers et peut-être imprévus de diverses armées qui hivernaient dans le voisinage ? et quelle force serait chargée de maintenir la sécurité intérieure et la tranquillité des délibérations ? Puis, que de précautions nécessaires pour le passage et la libre circulation des plénipotentiaires eux-mêmes ou des courriers qu’ils devraient envoyer à leurs cours ! Dans l’échange de leurs pouvoirs, quelle qualification allaient-ils prendre, la France ne reconnaissant pas la dignité impériale de Marie-Thérèse, et la princesse n’étant nullement disposée à s’en laisser dépouiller même pour un jour ? Enfin, à qui les portes du congrès seraient-elles ouvertes ? Le sénat de Gênes assiégé par l’Autriche, le duc de Modène dépossédé par elle, ne demandaient-ils pas à y être admis pour réclamer la réparation de leurs injures ? Mais Marie-Thérèse ne voulait voir en eux que des vaincus ou des rebelles avec qui elle refusait de traiter sur un pied d’égalité. Ce qui se passa de temps à échanger sur des points de cette importance des notes et des contre-notes, nous avons, dans nos habitudes actuelles moins soucieuses de ces formalités de chancellerie, peine à le concevoir. On eût dit que chacun des invités soulevait à dessein une question d’étiquette ou de préséance pour se dispenser de franchir le seuil de la salle où il était attendu, et qu’aucun d’eux n’était fâché du retard pourvu qu’il en pût imputer la faute à son voisin.

Ce qui faisait voir encore mieux le peu de confiance que chacun plaçait dans l’essai de pacification auquel tous se prêtaient de si mauvaise grâce, c’était l’activité déployée non-seulement à Londres, mais de toutes parts pour préparer, par un redoublement d’efforts et de sacrifices, une nouvelle campagne.

Assurément on ne pouvait contester les sentimens pacifiques du gouvernement français attestés par la modestie connue de ses prétentions ; mais on pouvait plus sérieusement douter que ces sentimens fussent communs au grand capitaine, dont le crédit croissait en proportion de ses services, et dont la guerre servait les intérêts en même temps que la renommée. J’ai dit combien était répandue à Versailles, et même à la cour, l’accusation portée contre Maurice de vouloir prolonger à dessein une lutte qui augmentait sa grandeur personnelle ; et jusqu’à quel excès d’injustice ce soupçon, accrédité par un ministre et accueilli même par ses meilleurs amis, était poussé par la malveillance de ses rivaux. Rien de plus sot assurément, et à la fois de plus odieux, que de lui prêter (comme on l’avait pourtant fait à deux reprises après Rocoux et après Lawfeld) le dessein d’interrompre, au milieu d’un combat, le plein succès d’une victoire déjà acquise pour se ménager d’avance la facilité d’en rapporter d’autres.