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d’Argenson constataient dans leurs journaux avec une égale surprise. En ce cas, il ne fallut pas longtemps à Louis XV pour s’apercevoir qu’une guerre civile suscitée par ses agens en Pologne aurait pour lui-même des inconvéniens presque aussi graves que les dangers auxquels serait exposé Auguste III. Exciter la guerre civile en Pologne, c’était à la fois s’engager à soutenir à mille lieues de distance ceux qu’il aurait compromis et porter la discorde à ses côtés mêmes, dans sa famille, dans sa propre intimité royale. C’était jeter le trouble dans les rapports de la reine polonaise et de la dauphine saxonne, dont l’aflection naissante n’avait pas triomphé sans peine des souvenirs qui les divisaient. Et qu’aurait dit le tout-puissant Maurice du réveil de ce qu’il appelait volontiers, par une expression familière, le stamslaïsme de Marie Leczinska ? Enfin, une raison d’un ordre moins élevé, mais d’une nature plus pressante, devait détourner le ministère français de s’engager dans ces menées souterraines ; c’est qu’en Pologne on ne faisait rien sans argent. Nul moyen de préparer même une ombre de résistance, sans de larges subsides distribués à ceux qui devaient en être les instrumens. Il n’était pas de piast assez puissant pour faire marcher les gentilshommes de sa suite sans avoir en réserve une bourse bien garnie pour les payer libéralement. Le trésor épuisé de la France, suffisant à peine pour payer ses propres troupes, ne pouvait se prêter à jeter au vent de telles prodigalités destinées peut-être à rester sans fruit.

Réflexion faite, on n’ouvrit aucun crédit à Castera, et par là même toute idée de préparer une confédération fut écartée. On engagea seulement cet agent à provoquer de la part des amis de la France (s’il en restait encore) une protestation contre la violation de leur territoire. L’acte fut bien rédigé, en effet, mais peu de gens eurent le courage d’y apposer leur signature et aucun ne consentit à la rendre publique : — u Après tout, écrivait Puisieulx à Castera avec une indifférence résignée, en apprenant ce triste résultat, c’est aux Polonais à défendre leur territoire, c’est une affaire domestique qui les regarde. Vous ne sauriez mettre trop de circonspection dans votre conduite[1]. »

En conséquence, dès les premiers jours de février, les Russes

  1. Castera, résident de France à Varsovie, à Puisieulx, 20 novembre, 30 décembre 1747, 13, 14, 21 janvier 1748. — Puisieulx à Gastera, 27 novembre 1747, 26 janvier, 16 avril 1748. (Correspondance de Pologne. — Ministère des affaires étrangères.) — C’est, suivant toute apparence, à ce moment, et aux négociations qui furent un instant engagées pour arrêter le passage des Russes en Pologne qu’il faut faire remonter les premières relations régulières du prince de Conti avec les nobles Polonais du parti national, d’où est sortie plus tard l’intrigue qui donna lieu à la diplomatie secrète de Louis XV. Castera fut certainement un des premiers agens employés par cette diplomatie occulte.