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sinon de l’esprit de Puisieulx. Pendant que Loos les développait, il regardait en quelque sorte avec crainte autour de lui pour s’assurer qu’aucune rumeur indiscrète n’en portât l’écho à Berlin. — « Il importe, répétait-il, que rien ne transpire de nos entretiens secrets et que le roi de Prusse n’en ait pas le moindre vent. » — Effectivement, aucune précaution n’était négligée, car les conversations avaient lieu à nuit close, dans un lieu écarté, et les courriers qui faisaient route entre Dresde et Versailles étaient censés apporter de petits présens, des bijoux, des objets de toilette ou de petits vases de porcelaine de Saxe qu’échangeaient entre elles la dauphine et la reine sa mère[1].

La négociation ainsi engagée, bien que s’avançant par ces chemins couverts, marcha avec la promptitude et la décision qui caractérisaient toutes les résolutions de Marie-Thérèse. Prenant hardiment l’initiative de parler la première, elle envoya au comte de Loos un projet de préliminaires de paix, en quinze articles, rédigé sous ses yeux, avec un pouvoir en règle pour les signer. Disons tout de suite que ce projet renfermait deux concessions véritables de la part de Marie-Thérèse. En premier lieu, l’interminable question de l’établissement réclamé pour la maison de Bourbon en Italie devait être réglée par l’attribution faite à l’infant des duchés de Parme et de Plaisance. A la vérité, de ces deux duchés, l’un, celui de Plaisance, avait déjà été cédé à Charles-Emmanuel par le traité de Worms ; l’autre, celui de Parme, n’appartenait à la maison d’Autriche que depuis l’extinction de la famille Farnèse survenue à une date très récente. De plus, l’une et l’autre province n’étaient cédées qu’à titre de fief, devant faire retour à l’empire si Philippe venait à mourir sans enfans mâles, ou à être appelé au trône de Naples ou d’Espagne. En outre, l’impératrice déclarait se désintéresser de toutes les questions qui ne regardaient que l’Angleterre, et elle offrait même, si la France ne pouvait obtenir du cabinet britannique le maintien du rétablissement des fortifications de Dunkerque, de lui céder elle-même la petite ville de Furnes pour assurer de ce côté la clôture de sa frontière septentrionale.

On ne peut nier que c’était là une manière très large d’entrer en matière. D’où venait donc à une souveraine jusque-là si jalouse de ses droits cette facilité inattendue ? Le secret en est révélé par deux dispositions peu apparentes, l’une placée dans le document lui-même et l’autre dans une annexe secrète. La première porte que, sauf les modifications indiquées et moyennant la restitution réciproque de toutes les autres conquêtes, tout sera remis en Italie dans l’état antérieur à la guerre. C’était déclarer en termes assez nets qu’à

  1. Loos au comte de Brühl, 27 janvier, 7-14 février 1748. (Archives de Dresde.)