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suppliant, moitié menaçant, et n’avait obtenu qu’une aumône, sans plus. C’est alors que Houston vint le trouver : « Procurez-nous, lui dit-il, des lettres qui établissent la complicité de Parnell dans le meurtre de Phœnix-Park. Vous toucherez 50 francs par jour pendant vos recherches et une grosse somme le jour de la livraison. » Lorsqu’on fait une telle proposition à un tel homme, lorsqu’on lui promet une fortune en échange de documens qui n’existent pas et ne peuvent exister, on fait de lui un faussaire, et je laisse aux consciences délicates à déterminer quelle part d’infamie revient au tentateur.

Mais suivons le roman de Pigott tel qu’il le raconta devant la commission ; accompagnons-le dans ses voyages à la recherche des précieuses lettres. D’abord, sur une vague indication, il s’était rendu à Lausanne sans y trouver les révélations espérées. De là il revient à Paris, et, comme il se promène, découragé, sur le boulevard, une main se pose sur son épaule, un inconnu l’aborde : « Vous cherchez des documens ? Ils sont ici. — Où cela ? — Dans un sac noir, au fond d’un appartement abandonné. — Courons-y ! — Non, il faut d’abord aller en Amérique leur demander la permission... » Et Pigott part pour l’Amérique. Il revient, muni de la fameuse permission. De leur côté, le docteur Maguire et M. Houston sont arrivés à Paris ; anxieux, ils attendent Pigott dans une chambre d’hôtel. Celui-ci paraît tout ému. On l’a conduit dans un petit restaurant, près de la Madeleine. Là il s’est vu seul avec des personnages mystérieux. On lui a fait prêter serment à genoux,.. et voici les lettres de M. Parnell !

On reconnaît les procédés du bas feuilletonisme. Non-seulement le docteur Maguire et M. Houston, mais le solîcitor et le rédacteur en chef du Times, et, après eux, le gouvernement et une bonne partie du public en furent dupes. Devant les juges, les choses prirent un autre aspect. Serré de près par l’avocat de Parnell, qui avait fouillé son passé et l’éclairait impitoyablement, traqué, chassé de mensonge en mensonge, Pigott, comme une bête aux abois, faisait tête aux poursuivans, payait d’impudence, insultait au lieu de se défendre, indigné quand on se riait de lui, sarcastique lorsqu’on le flétrissait. Toute cette audace tomba en une nuit. Le vendredi 22 février, il tenait encore bon. Le lendemain samedi, il arrivait chez M. Labouchère, député radical et directeur du Truth. Devant lui et devant M. Sala, appelé en hâte pour servir de témoin, il se reconnaissait l’auteur des lettres et signait sa confession. De là il se rendait chez un des hommes de loi de la partie adverse et faisait une autre confession qui, en beaucoup de points, différait de la première.

Le lundi, on l’attendit vainement à l’ouverture de l’audience. Il