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Cependant la Francine, par une pudeur dernière, se défendait, s’échappait leste comme une chevrette des bras de George, et les joues en feu, avec des rires éclatans de gamine, elle bâclait son ménage, rangeait, balayait, époussetait en pirouettant sur ses pointes pour ne pas être surprise. Puis elle se laissait approcher de nouveau, la tête basse, les bras inertes, comme à bout de résistance et de force et quelques instans plus tard, avec une nerveuse souplesse, elle s’échappait encore, luttant désespérément contre elle-même, s’obstinant à ne pas céder.

Un moment, il usa de sa force pour la maîtriser, la retenir contre lui, tandis qu’il la suppliait ardemment, à voix presque basse ; et, vaincue cette fois, elle s’abandonnait, quand la silhouette trapue et large de la Mort s’encadra dans la porte.

Ils se séparèrent vivement, Francine retombée là, sur le banc, à la même place, anéantie de frayeur ; George debout, ferme sur ses jarrets, campé déjà dans une pose de défense. Mais le braconnier semblait n’avoir rien vu ; sa maigre face bilieuse respirait une quiétude absolue, une sorte de contentement même qui aiguisait les vrilles noires de ses yeux ; et d’une voix pleine :

— Allons ! femme, s’écria-t-il, sers-moi la soupe. Mon ventre est comme une bourse vide, les peaux se touchent.

Puis, en accrochant son fusil au-dessus de la cheminée :

— Grande nouvelle ! monsieur George ; il y a, samedi qui vient, une battue aux loups, tout le canton est convoqué.

Et il ajouta, avec son rire silencieux des bons jours :

— La première fois de ma vie que je chasserai en compagnie des gendarmes !


XLII.

Depuis cette scène, George se sentait inquiet et gêné dans cet intérieur des Bertal.

La mansuétude de cet homme entier et violent, qui avait des rudesses de sauvage, son parti-pris évident de tout voir sans rien soupçonner lui causaient à la fois de l’irritation et du malaise ; et son caprice pour Francine s’en ressentait, il s’éloignait d’elle, l’accusait maintenant d’avoir joué un rôle, d’avoir agi de concert avec son homme, pour la plus grande aisance du ménage.

Il eût voulu abréger son séjour chez eux, rentrer au Vignal, n’aimant en amour ni les lâches compromissions ni les complaisances viles, mais, d’autre part, une sorte de fierté le retenait ; la pensée qu’on lui aurait prêté sans doute de lésiner devant des prodigalités désormais inutiles, ou d’avoir eu peur et de fuir.