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— En somme, tout a marché parfaitement.

Et le baron, qui, secoué encore de longs frissons, avalait ses pleurs avec son potage, répondit :

— Oui, il y avait beaucoup de monde ; les gens se sont bien montrés pour notre famille.


XLV.

Pendant un an, Thérèse se confina dans un deuil sévère, ne voyant personne, ne sortant que pour aller aux offices, ensevelie sous ses voiles, et marchant très humble, la tête basse comme celles qu’une grande douleur a châtiées.

M. et Mme Dupourquet prenaient exemple, copiaient avec une sorte d’esprit de famille ses attitudes éplorées de veuve. De sérieux ennuis survenus après la mort de George les aidaient puissamment du reste à jouer ce rôle.

L’ouverture de la succession avait eu pour eux de cruelles surprises ; de la dot de Thérèse comptée comme une rançon en espèces sonnantes, il ne restait que peu de chose, quelques milliers de francs en monnaies à l’effigie de Louis XVI ou en doubles louis de l’empire, ménagés sans doute à titre de collection et traités en bibelots. Et il n’y avait pas eu seulement gaspillage des ressources trouvées au Vignal ; les dettes maintenant surgissaient de toute part, des lettres de change consenties à de petits propriétaires du voisinage, à des fournisseurs de la famille, et pour des sommes modiques, comme si George, négligeant de prendre sur lui quelque argent, eût souscrit du jour pour le lendemain de simples reconnaissances.

Tout d’abord Génulphe s’était gendarmé :

— Ce sont des engagemens pour rire, des billets faits à plaisir, et d’ailleurs, je ne paie pas les folies de mon gendre !

Mais les créanciers insistaient, ne voulaient pas sortir du Vignal sans avoir obtenu, au moins, une promesse ; et de timides et d’hésitans qu’ils s’étaient présentés, ils en arrivaient peu à peu à élever la voix, à proférer des menaces. Alors par crainte du scandale, ne voulant pas publiquement avouer ses déboires, sacrifier à un refus sa popularité et son influence, Dupourquet entrait dans la voie des arrangemens, marchandait sans vergogne et proposait des tranche court.

Il avait aussi à se défendre des continuelles exigences, des demandes de secours périodiques des d’Escoublac, qui depuis la mort de leur fils roulaient chaque jour plus avant dans la misère. Ils vivaient tout seuls maintenant dans leur castel en ruines de Laroque, sans une fillette pour les servir ; la baronne vêtue comme