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de parti, il est, pour ainsi dire, partial par définition. Au lieu des traditionnelles balances de la justice, il a, en toutes choses, deux poids et deux mesures. Il n’a rien d’une Providence terrestre : ni la prévoyance, ni l’équité, ni l’intelligence, ni la sagesse. II n’observe aucune des règles et ne respecte aucune des limites posées par vos encycliques ; il est toujours prêt à empiéter sur le domaine qui n’est pas le sien ; il usurpe en tous sens ; il est peu soucieux des droits d’autrui et ne reconnaît guère que ceux qu’il a établis ; il prétend seul faire la loi, et il s’imagine volontiers créer le droit. Il se croit tout permis, et il se vante de tout s’assujettir. Il veut être tout, et sa volonté est changeante, tour à tour violente et faible, comme les majorités passionnées et comme les foules ignorantes dont il émane ; — et si médiocre est notre confiance en lui, que sa mobilité nous rassure plus qu’elle ne nous effraie. Il ressemble à une barque à voile, mal lestée et mal gouvernée, qui file au hasard, en rasant l’eau, penchant tantôt sur un flanc, tantôt sur l’autre, au gré de la brise qui souffle, à la merci d’un coup de vent.

Oui, très saint-père, nous nous défions de l’État, monarchique ou républicain, populaire ou bourgeois, parlementaire ou césarien ; nous nous défions de sa prudence, de ses lumières, de ses doctrines et de ses visées ; nous nous défions de ses procédés, de ses méthodes, de son goût de réglementation, de ses engouemens et de son outrecuidance ; nous nous défions de sa moralité, de sa conscience, de sa probité. Il nous est malaisé de voir en lui l’organe du droit et l’instrument de la justice. Et, en vérité, ils nous semblent bien confians, ou bien téméraires, ceux de vos fils qui veulent élargir la sphère d’action de cet État moderne, à l’heure même où, en tant de pays, dans votre Italie où vous êtes contraint de vivre en captif, dans notre France même, jadis la fille aînée de l’Église, l’État s’ingénie à éliminer la religion de la vie publique et de la vie privée, expulsant de partout, de l’hôpital comme de l’école. Dieu, le prêtre, la sœur de charité. Car, il ne s’y faut pas tromper, nous n’armerons pas l’État de droits nouveaux, nous ne fortifierons pas la puissance de l’État d’un côté, sans la renforcer de tous à la fois. On ne saurait étendre le domaine de l’autorité publique sur tous les intérêts et les contrats privés sans lui asservir l’individu et lui assujettir la famille. Aucun artifice de la science politique ne trouvera le moyen de faire de l’État le maître de la vie économique, l’arbitre omnipotent de l’usine et de l’atelier, sans que nos sociétés, qui vivent du travail, soient prises tout entières dans sa main. Il n’y a qu’une façon d’établir, à toujours, sur le monde, le despotisme de l’État ; mais il y en a une, — c’est celle-là.