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démocratie, vis à-vis de l’État moderne, de l’État laïque, l’Église était contrainte d’être libérale, au besoin malgré elle[1]. Cela, je l’écrivais de la politique ; or, on en pourrait dire autant des questions sociales, parce que, alors même qu’elle oublierait les droits naturels de la famille, de l’individu, des associations, l’Église, dans les questions sociales comme dans les questions politiques, ne saurait admettre longtemps d’autre tutelle que la sienne. Si elle s’éloigne de la liberté, l’Église y sera vite ramenée par le souci de sa propre liberté ; car elle est elle-même une société, la plus vaste et la plus noble des sociétés humaines, une « société parfaite, » comme aiment à dire ses docteurs ; et son premier besoin est de se gouverner librement. À ce titre, elle est, sous peine de suicide, obligée de s’opposer à l’absorption de l’individu, à l’absorption de la famille, à l’absorption des sociétés privées par l’État. Or, en quoi consiste le libéralisme, si ce n’est en cela ? — non le pseudo-libéralisme, bâtard de la Révolution et menteur à son nom, mais le sincère, le loyal libéralisme, fidèle à sa devise et à la Liberté ?

Aujourd’hui, déjà, veut-on y regarder de près, on voit que c’est à la liberté, et aux institutions nées de la liberté, que le saint-siège demande, le plus volontiers, la solution des questions sociales. Loin de condamner cette pauvre liberté, cette reine déchue tant vilipendée du monde, et conspuée par la foule qui l’acclamait naguère, le pape lui fait appel, le pape la réconforte, il l’invite à se relever, à ne point se décourager, à se remettre bravement à l’œuvre. En dépit des clameurs qui s’élèvent contre elle, il ne cache point qu’il la préfère à la favorite du jour, à la nouvelle venue qu’on veut partout introniser à sa place : l’intervention de l’État. Pour Léon XIII, l’intervention des pouvoirs publics doit être l’exception, et non la règle ; il n’admet l’immixtion de l’État que là où la nécessité l’exige. Pour lui, la règle, c’est la liberté. En cela, plus on les étudie, se résument les enseignemens pontificaux. — Il est juste, affirme l’encyclique Rerum novarum, que les citoyens puissent, en toutes choses, agir librement, pourvu qu’ils n’attentent pas contre le bien public et ne nuisent pas à autrui. N’est-ce pas là, sous la forme d’une sorte de « truisme, » la définition classique qui, à la liberté de chacun, donne pour limite la liberté de tous ? — Si nous voulions tirer la couverture à nous, nous pourrions dire que, en économie sociale, Léon XIII est avec les libéraux, qu’il est, lui aussi, volens, nolens, un libéral. Mais Dieu nous garde d’un procédé si mesquin ! Mieux vaut cent fois, à nos yeux, que le pape ne relève d’aucune école. Le pape est pape ; il doit demeurer en son haut siège pontifical, et comme

  1. Voyez les Catholiques libéraux, l’Église et le libéralisme de 1830 à nos jours. Paris, Plon.