Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le pape est trop clairvoyant pour n’en pas sentir la difficulté ; il remarque, expressément, « que la durée du travail et les intervalles de repos doivent être proportionnés à la nature du travail et à la santé de l’ouvrier, et qu’ils doivent être réglés d’après les circonstances, les temps et les lieux. » Humaine ou divine, c’est là le langage de la sagesse ; mais c’est la négation de la journée normale, et des « trois huit. » Léon XIII n’est pas, comme tant de nos socialistes, dupe des progrès du « machinisme ; » il ne s’imagine point que, grâce à ces ouvriers de fonte et d’acier, le travail va bientôt devenir, pour l’homme, un passe-temps de quelques heures. Le pape se borne à réclamer, ce qui est admis de tous, la limitation du nombre d’heures de travail pour les enfans et les adolescens. Il est déjà moins catégorique pour les femmes ; il ne va pas, sur ce point, aussi loin que M. J. Simon, tout en exprimant, lui aussi, ce qui est dans notre cœur, à tous, le désir que la femme soit laissée, autant que possible, au foyer et aux travaux domestiques. Quant aux hommes valides, le pape, encore une fois, ne nous donne aucune indication ; il s’en remet à la liberté, aux associations, aux besoins de chaque pays et de chaque profession.

Les enseignemens du saint-siège seront-ils plus explicites pour le taux du salaire que pour la journée de travail ? Le salaire, c’est, dans le monde du travail, la préoccupation qui prime toutes les autres, c’est, pour l’ouvrier, comme dit M. de Mun, la question éternellement poignante. Comment l’envisage le saint-père ? Ici, comme d’habitude, il se contente de poser des principes généraux, il n’a garde d’entrer dans les détails de l’application ; et n’allons pas dire qu’avec cette méthode il évite, à bon marché, les difficultés, car, en se contentant de poser des principes, — nous l’avons montré dans la première de ces études, — le pape reste dans sa fonction de pape. Faire plus serait en sortir. Le souverain pontife, conformément à sa mission pontificale, nous remémore les règles de la justice. En docteur, il aime les définitions doctrinales ; c’est ainsi qu’il nous donne une théorie du salaire, plus philosophique peut-être qu’économique. L’argumentation a beau nous en sembler quelque peu scolastique, ce qui ne surprend guère de la part d’un tel admirateur de saint Thomas, je ne vois pas que les économistes aient à