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sans hésiter au vainqueur de Lépante, à l’aimable et honnête don Juan d’Autriche. Je ne saurais cependant refuser sans une criante injustice à Guillaume d’Orange le titre de grand homme et de libérateur de la patrie.

Dès qu’on sort des voies régulières, il faut s’armer de patience. « Le meilleur architecte, a dit un grand souverain à qui la fortune ne devait épargner aucune épreuve, ne peut bâtir qu’avec les matériaux qu’il a sous la main. » Ces matériaux ne sont pas toujours ceux que l’architecte se serait complu à employer. Orange eût préféré, sans doute, affranchir les Pays-Bas avec d’autres outils que ceux qui lui étaient offerts par la rigueur des temps : il accepta les instrumens que la Providence lui envoyait, les yeux sur son but, qui était assurément très noble, l’âme cuirassée contre les déceptions. La réponse de Dolhain le blessait profondément. Il dissimula néanmoins son déplaisir, seulement quand Dolhain mit le pied sur le sol britannique, les griefs d’Orange l’y avaient devancé. Dolhain fut arrêté et conduit en prison par ordre de la reine Elisabeth. Pour en sortir, il lui fallut donner une apparence de satisfaction à Basius, car ce collecteur des deniers réclamés au nom de la cause nationale avait suivi l’amiral récalcitrant à travers la Manche.

Basius était autorisé à offrir à Dolhain, non pas la confirmation de son brevet d’amiral, mais le commandement d’une division de deux ou trois vaisseaux. Dolhain refusa une faveur qui eût mal dissimulé sa disgrâce. Ni sur mer ni dans la compagnie des gueux, il ne se sentait à sa place. On peut, en effet, mettre en doute que ce valeureux seigneur ait jamais possédé la force d’âme qui lui aurait été si nécessaire pour dominer une troupe irrégulière peu disposée à échanger le frein des lois pour le joug volontaire de la discipline. Trop compromis pour pouvoir jamais espérer le pardon du duc d’Albe, Dolhain reprit le harnais de guerre, sur le terrain où, dès l’enfance, il était habitué à le porter. La mort d’un soldat l’attendait dans une de ces journées sanglantes qui n’ont plus même de nom ; elle a préservé sa mémoire compromise et permis à l’histoire, par une juste appréciation des difficultés contre lesquelles le premier amiral des gueux eut à lutter, de ranger l’administrateur négligent, l’homme de mer peu capable, au nombre des héros que la patrie reconnaissante honore encore aujourd’hui.


II.

La destitution de Dolhain laissait de nouveau les gueux de mer sans chef. L’ivrognerie et le désordre firent à bord de leurs vaisseaux