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braves peuvent compter sur ma gratitude. Avec l’aide de Dieu, je récompenserai leurs bons services. Écartez de vos âmes toute ambition, tout intérêt personnel. Ne songez qu’à la gloire de Dieu et à la délivrance des pauvres croyans des Pays-Bas. »

Croire, c’est pouvoir ; le scepticisme ne mène à rien ; mais, nation ou individu, on n’est pas sceptique quand on souffre. J’aime à croire Orange dans ses homélies politiques aussi sincère que le peuple auquel il s’adresse. Néanmoins, dans cette grande révolution des Pays-Bas, c’est surtout le peuple que j’admire sans réserve. Les Néerlandais ont prouvé de quels sacrifices et de quelle persistance la foi est capable. Si la religion n’eût été pour les insurgés des Pays-Bas qu’un prétexte ou un masque, ces insurgés n’auraient jamais secoué le joug espagnol. Brave peuple chez qui la vigueur de l’âme s’unit encore aujourd’hui au culte le plus sérieux de toutes les vertus domestiques ! c’est bien assurément de lui qu’on peut dire qu’il n’aurait pas conquis la liberté, s’il n’en eût été vraiment digne. Et pourtant de quelles erreurs sanglantes, de quelles ingratitudes ne l’a-t-on pas vu se rendre coupable ! « Ne mettez pas votre confiance dans les princes des hommes, » a dit l’Écriture. Mettez-la donc dans les foules ! Ce que les foules, — les meilleures ! — vous réservent, c’est le sort de Barneveldt et des frères de Witt.

Les engouemens populaires jouent un grand rôle dans l’histoire. Jamais maison princière n’a joui d’une faveur plus constante que celle dont fut, dès son début sur la scène politique, entourée la maison de Nassau. Le prince Guillaume ne doit pas son ascendant au succès, car jusqu’ici le succès lui manque : il le doit à cette sorte d’instinct qui désigne souvent aux nations la voie du salut. Orange ordonne et tous les insurgés se soumettent. Les gueux de mer eux-mêmes dépouillent devant lui leur agitation féroce. Le prince leur rappelle avec énergie ses droits si fréquemment méconnus. Le tiers du profit des captures doit être scrupuleusement remis à ses agens. On sait à quel saint emploi il le destine. On a jusqu’à présent enrôlé tout matelot, tout soldat, tout fugitif qui s’est présenté. Désormais, on n’admettra sur les vaisseaux armés pour combattre la tyrannie du duc d’Albe, aucun homme qui ne jouisse d’un bon renom ou qui ait eu quelque démêlé avec la justice. Les commandans en chef et les patrons seront, — Tous et sans autres exceptions que celles qui seraient prescrites par Orange lui-même, — Néerlandais. Chaque capitaine est tenu d’embarquer sur son vaisseau un ministre qui puisse « y annoncer la parole de Dieu, y faire les prières et entretenir l’équipage dans les bornes de la modestie chrétienne. »

Il est, je crois, fort à craindre que ce dernier ordre n’ait jamais