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donné depuis à tous les produits de la nicotiane. Dans l’île de Cuba, la dénomination de tabaco est encore synonyme de cigare. On dit communément chupar un tabaco.

Au Brésil, le tabac avait reçu le nom de petun et, d’après les historiens portugais, la fumée de ces feuilles, aspirée à fortes doses, servait à enivrer les augures. Dans les assemblées délibérantes, on soufflait de la fumée de tabac au visage des orateurs. Les Indiens du temps de Fenimore Cooper fumaient encore le calumet de paix, quand ils avaient enterré la hache de guerre.

Les premiers plants de tabac furent apportés à Lisbonne en 1560. Peu de temps après, Jean Nicot, ambassadeur du roi François II auprès de Sébastien, roi de Portugal, en reçut quelques feuilles d’un marchand flamand qui revenait d’Amérique et qui lui fit connaître les propriétés de cette plante. Jean Nicot les rapporta ; il en fit don à Catherine de Médicis et au grand-prieur François de Lorraine. C’est de là que vient le nom d’herbe à la reine, d’herbe du grand-prieur, qui fut donné au tabac à cette époque.

Sous l’influence de ce haut patronage, son usage se répandit rapidement à la cour et dans la bourgeoisie ; il ne tarda pas à pénétrer dans toutes les classes de la société et à passer la frontière. Depuis cette époque, il a fait son chemin, en dépit de toutes les oppositions, peut-être même à cause des persécutions dont il a été l’objet.

Voilà trois siècles qu’on épuise contre cette malheureuse plante tout l’arsenal des proscriptions : libelles, amendes, excommunications. Je n’en finirais pas, si je voulais énumérer les ordonnances, les arrêtés, les édits qui ont été rendus contre lui. On a même été jusqu’aux supplices. En Perse, Schah-Abbas faisait trancher le nez aux priseurs et couper les lèvres des fumeurs. Amurat IV, plus radical et plus facétieux, faisait pendre ces derniers la pipe à la bouche et menaçait les autres de les brûler vifs sur un bûcher de feuilles de tabac. À Moscou, Michel Federowich se contentait de faire administrer aux uns et aux autres soixante coups de bâton sous la plante des pieds.

Les mœurs se sont adoucies depuis lors. Le tabac n’est plus proscrit ni en Russie, ni en Perse. Le shah lui-même donne l’exemple. Il fume et déploie à cette occasion son faste habituel. Il a la plus belle pipe qui soit au monde. Elle est enrichie de pierreries et vaut, dit-on, deux millions de francs. En Europe, on ne persécute plus les fumeurs, on se borne à les menacer de maux sans nombre et surtout à les rançonner.

Le cardinal de Richelieu a eu le premier l’idée ingénieuse de se servir du fisc pour combattre l’invasion du tabac et d’en faire