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peut-être moins. Il l’a répété à maintes reprises, sous toutes les formes, — et ce ne fut pas chez lui coquetterie d’écrivain, mais vérité pure : « Je n’étais pas auteur, j’étais ce que les modernes appellent un amateur ce que les anciens appelaient un curieux de littérature, comme je suppose que Horace, Cicéron, Scipion, César lui-même l’étaient de leur temps. La poésie n’était pas mon métier ; c’était un accident, une aventure heureuse, une bonne fortune dans ma vie. J’aspirais à autre chose, je me destinais à d’autres travaux. » — Et ailleurs : « j’ai eu de l’âme, c’est vrai ; voilà tout. »

Je ne tenterai pas davantage une étude de l’homme intérieur. À quoi bon épiloguer sur le plus simple, le plus instinctif des hommes ? À quoi bon obscurcir, par des explications psychologiques, cette âme claire comme l’eau de la source ? Il l’a définie lui-même en quelques mots, lorsqu’il la prêtait à son Raphaël : « Il avait pour trait distinctif de son caractère un sentiment si vif du beau dans la nature et dans l’art, que son âme n’était, pour ainsi dire, qu’une transparence de la beauté matérielle ou idéale éparse dans l’œuvre de Dieu et des hommes. Cela tenait à une sensibilité si exquise qu’elle était presque une maladie en lui, avant que le temps l’eût un peu émoussée. » — C’est vrai, c’est tout, cela suffit pour l’Homère français.

Je voudrais regarder aujourd’hui Lamartine dans l’image que se font de lui nos contemporains. Je voudrais comparer les deux figures si différentes que nous présentent les miroirs, selon la préparation qu’ils ont subie. Nous rechercherons ensuite quelle est la plus vraie. Si grand que soit le poète, je lui demanderai de m’aider à débattre une question plus grande que lui, à poser un des problèmes de l’heure présente.


I.

Voyons d’abord ce que fut Lamartine pour beaucoup d’hommes de sa génération, qui le contemplaient de loin, d’en bas, sans soulever le manteau ; ce qu’il continua d’être longtemps pour ceux de la mienne ; ce qu’il est encore pour les jeunes gens qui n’ont lu de ses œuvres que les plus populaires, sans avoir le loisir ou la curiosité de compulser les commentaires tardifs du poète et les surcharges de la critique. Je ne saurais mieux préciser les traits de cette figure idéale qu’en les recherchant dans mes propres souvenirs. On me pardonnera un procédé d’investigation toujours fâcheux ; si je l’emploie comme le plus sûr et le plus simple, c’est que, bien loin de prétendre à la moindre originalité dans mes impressions, je suis fermement convaincu qu’il faut les généraliser