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REVUE. — CHRONIQUE.


mement ! Le malheur est justement qu’il ne résiste pas assez à cette omnipotence d’une assemblée unique qui est l’idéal du radicalisme, qu’il ne sauvegarde pas assez ce qui est pour lui le plus simple des droits. S’il tente une défense, une faible défense, il ne tarde pas à se rendre, à se laisser désarmer. Le sénat malheureusement ne résiste le plus souvent que pour la forme, tout au plus jusqu’à la seconde ou à la troisième sommation ; le gouvernement ne le soutient pas de peur de se compromettre lui-même. Sénat et gouvernement cèdent à la pression de ceux qui crient le plus. Le résultat de cette lutte des idées fausses contre le droit est que la constitution n’est qu’un mot, que le régime parlementaire n’est qu’une fiction, et qu’on finit par retomber périodiquement dans cette semi-anarchie où la paix, une paix momentanée et précaire, ne se refait entre les pouvoirs qu’aux dépens des institutions déprimées.

Comment sortir de là ? Qu’à cela ne tienne ! disent les empiriques du radicalisme qui ont toujours une recette merveilleuse et souveraine à leur disposition : puisque le sénat n’est qu’un rouage embarrassant ou inutile, le plus simple est de le supprimer par une revision de la constitution, d’en finir avec ces comédies qui peuvent devenir des drames. L’invention n’est pas nouvelle. La revision, c’était l’arme des boulangistes ; c’est encore l’arme des radicaux et des esprits extrêmes qui ne trouvent rien de mieux que de trancher dans le vif. Toutes les fois que le sénat a une de ces velléités intermittentes de résistance qu’on lui reproche, qu’il n’a pas assez souvent, on y revient. On menace le sénat de la revision, comme si le mal venait de la constitution, comme si la revision pouvait simplifier les choses, comme si elle ne devait pas tout simplement être un moyen d’ouvrir une crise plus vaste où tout serait remis en doute, où toutes les passions se donneraient rendez-vous ! En réalité, on devrait le reconnaître une fois pour toutes, la meilleure, la plus utile revision serait de faire tout rentrer dans l’ordre, de rester dans la vérité des institutions, de laisser leurs droits et leur liberté à tous les pouvoirs dont l’équilibre est justement la garantie de la paix publique. Nous parlions dernièrement du progrès tel qu’on l’entend aujourd’hui. Le progrès promis par les radicaux à la France, pour son cadeau de nouvelle année, semblerait être décidément de rétrograder en tout. Le progrès politique serait de revenir au régime de l’agitation en permanence, aux idées d’omnipotence conventionnelle ou révolutionnaire désavouées partons les pays, — comme le progrès économique pour d’autres est de revenir aux plus vieilles idées de claustration ou de protection commerciale. Tout cela se mêle et produit un étrange effet dans notre vie publique.

Ce n’était pas assez, à ce qu’il paraît, de toutes ces questions politiques ou économiques qui s’agitent et qui, ? dire vrai, n’intéressent pas également la France ; il faut encore qu’on s’efforce de raviver le