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code de procédure civile ; on a fait une loi générale sur les contrats : le reste n’est guère que du détail et de la réglementation.

Il n’y a là toutefois rien dont on puisse blâmer le gouvernement anglais. Il lui eût été facile de jeter sur le pays la masse de la législation civile anglaise. Nous, Français, nous n’y eussions point manqué. Nos codes sont bons partout et tout entiers ; aussi les avons-nous implantés presque sans changemens aux quatre coins du globe[1]. Les Anglais sont plus timorés. Ils estiment que la législation doit varier avec les latitudes, et que chaque pays veut des lois à lui appropriées. Dans un pays comme l’Inde, la difficulté est doublée par la variété des races et des religions. Cette variété interdit une législation uniforme ; elle rend presque impossible une codification. C’est pourquoi l’Angleterre s’y est bornée à donner force de loi ici aux prescriptions religieuses, là aux coutumes locales, et l’effort des gouvernemens, au lieu de porter sur la rédaction des lois, a porté plutôt sur le recrutement des juges.

Il semble qu’une législation à la fois si humaine et si prudente aurait pu, sans inconvéniens, être transportée telle quelle en Basse-Birmanie, et, à supposer, — comme c’est le cas, — qu’on eût éprouvé quelque scrupule à l’heure de la première conquête, que du moins ce scrupule pouvait cesser au bout de longues années de domination. Les Anglais sont en Basse-Birmanie depuis 1826, pour une portion du territoire, depuis 1852 pour une autre : c’est donc soixante-cinq années pour l’une, et pour l’autre quarante années. Or, après tant de temps écoulé, pendant lequel l’œuvre d’assimilation a dû faire des progrès constans, la législation de la Birmanie, province de l’Inde, n’est pas la même que celle du reste de l’empire. Elle en diffère profondément à plusieurs égards. Tout d’abord, elle comporte des lois spéciales à la Birmanie. Les unes sont des lois faites exclusivement à l’usage de la province, en vue de nécessités du pays ; les autres sont des coutumes indigènes qui ont reçu force de loi. C’est ainsi que le statut personnel, les mariages, les questions religieuses, les successions, sont réglés par la coutume locale. « Dans toutes ces questions, dit la loi inti-

  1. . Cette habitude, qui date de la monarchie, s’expliquait à merveille autrefois. Nos anciennes colonies, ces « Nouvelle France » que rêvait Richelieu, devaient se peupler et se peuplaient effectivement de nombreux colons français, qui, — cela allait de soi, — emportaient avec eux la coutume de leur province. Quant aux indigènes du pays, là où il s’en trouvait, ils devaient, — toujours dans la conception de ce temps, — être convertis et faits sujets français. Par conséquent, les lois françaises leur étaient tout naturellement applicables. Aujourd’hui nos colonies ne sont plus, pour la plupart, des colonies de peuplement, et nous avons renoncé à convertir et à naturaliser les indigènes. Dès lors le régime légal de ce temps-là devient un anachronisme.