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phénicienne, et dont Tyr et Carthage reprirent la tradition, pour la continuer jusqu’à leur dernière heure.

Il n’en est pas de même de la Grèce. La Grèce est vraiment multiple et diverse dans l’espace aussi bien que dans le temps. L’histoire et la géographie appliquent plus particulièrement ce nom de Grèce au pays qui le porte encore maintenant, à la plus orientale des trois presqu’îles que le continent européen projette vers le sud et semble envoyer à la rencontre de l’Afrique. C’est là, dans ce territoire d’une si faible superficie qui constitue aujourd’hui le royaume du roi George, que la race grecque a élu jadis domicile pour n’en plus jamais sortir, quoique bien des fois elle ait été battue par les invasions et les conquêtes ; c’est là que, tout en essaimant et en se répandant au dehors, elle s’est toujours maintenue le plus compacte, c’est enfin là que se sont fondées et qu’ont vécu les villes qui ont fait dans le monde grec la plus brillante figure, qui s’en sont disputé la direction et la suprématie, Corinthe et Sparte, Thèbes et Athènes, là que se célébraient ces grandes fêtes des jeux olympiques, isthmiques et néméens où se donnaient rendez-vous tous les fils dispersés de la famille hellénique. L’Hellade, comme on appelle cette péninsule, est donc bien la Grèce proprement dite, la Grèce par excellence ; mais, à côté d’elle, il y a d’autres Grèces qui, pour ne pas avoir occupé cette situation centrale ni joué un rôle aussi prépondérant et aussi longtemps soutenu, n’en ont pas moins fait leur partie dans le concert. Il y a la Grèce asiatique ; grâce à l’heureuse et brillante souplesse du génie ionien, elle a été plus précoce que la Grèce européenne ; c’est elle qui s’est engagée la première dans les voies de la poésie et de l’art, du grand commerce et des navigations lointaines. Il y a une Grèce d’Afrique, celle de Naucratis et des autres villes où s’établirent, entre les bouches du Nil, les étrangers introduits par Psammétique, celle surtout de la Cyrénaïque, avec ses cités puissantes qu’une ceinture de déserts protégeait contre les convoitises des maîtres de l’Egypte et contre les jalousies de Carthage ; cette oasis, d’où rayonnaient en tout sens, vers l’intérieur, des routes 1res fréquentées par les caravanes, était une porte ouverte sur les profondeurs mystérieuses de l’immense continent méridional ; ce fut par là qu’une curiosité toujours en éveil recueillit maintes données qui reculèrent pour elle les limites du monde des vivans et qui contribuèrent à lui donner le sentiment de la variété des hommes et des climats. Sur les rivages opposés, il y a encore une autre Grèce, la Grèce occidentale, qui s’attache comme une frange aux golfes et aux promontoires de l’Italie du sud et qui pousse ses avant-postes jusque sur les côtes de la Gaule et de l’Espagne ; c’est elle qui a eu l’honneur d’être la première éducatrice de Rome. On sait