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négociations particulières entre la grande fédération américaine et chacune des autres puissances de l’Amérique du Centre et du Sud qu’on pouvait arriver à des contrats formels. Bien loin de prévenir des conventions commerciales, les récentes mesures douanières des États-Unis et notamment le bill Mac-Kinley y aidèrent par les menaces de traitement exceptionnellement dur pour les produits des puissances récalcitrantes. C’est avec le Brésil, transformé en république, que fut conclu le premier de ces traités, et il est entré en vigueur le 1er avril 1891. Un grand nombre des produits des États-Unis sont admis au Brésil en franchise et, d’autres, notamment les objets manufacturés, le sont à des tarifs de faveur, tandis que les États-Unis avantagent le café, le sucre, la mélasse et les peaux brutes du Brésil.

Poursuivant avec fermeté son dessein, le gouvernement de la Maison-Blanche vient d’obtenir de la puissance la plus hautaine et la plus personnelle qui soit au monde, l’Espagne, sous un ministère conservateur, un traité de commerce avec Cuba. Des arrangemens de même nature sont en voie de se conclure entre les États-Unis et le Mexique, dont les produits hier encore se trouvaient fort maltraités au passage des frontières de la grande Union américaine. Personne n’ignore le mouvement qui se produit au Canada pour une entente commerciale avec les États-Unis. Ceux-ci sont, certes, loin encore d’avoir accaparé les marchés des trois Amériques ; mais ils visent à s’y constituer des privilèges ; ce n’est pas seulement le traitement de la nation la plus favorisée avec des tarifs modiques qu’ils s’efforcent d’obtenir, ce sont des droits différentiels qui grèveraient de 25 pour 100 de plus, du Groenland à la Terre de Feu, les produits européens que les produits d’une quelconque des puissances d’Amérique. Il y a là pour l’Europe un danger considérable, moins encore pour l’heure présente que pour une heure différée, mais prochaine. C’est par un bon nombre de milliards que se chiffre le commerce de l’Europe avec l’Amérique centrale et l’Amérique méridionale ; le moindre traitement de faveur fait aux États-Unis, surtout avec le développement manufacturier graduel et rapide de cette dernière contrée, réduirait sans doute en dix années d’un tiers ou de moitié l’importance des exportations européennes dans ces régions. Les jeunes puissances américaines, oubliant tous les services que leur rend sans cesse le vieux monde et leur situation de débitrices presque insolvables à son égard, commencent à se montrer très exigeantes et très hautaines envers lui. Le Brésil, par exemple, menace la France de droits de douane très élevés si elle ne diminue pas ses taxes excessives sur le café ; la République Argentine est mécontente de nos taxes sur le maïs. Il y a là toute une semence de conflits ; il faudra compter avec ces