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comme on l’a déjà vu par l’exemple des boers. Dès lors, le bruit mené autour de quelques gîtes aurifères, l’inertie relative, l’extension sur le papier, — autant de symptômes, — suppose-t-on, d’une volonté de marquer sa place, sans doute, par un drapeau accroché à un mât, comme qui dirait par un chapeau déposé sur une chaise, mais de ne point aller où l’on dit et d’attendre son heure pour aller où l’on ne dit pas. A l’abri du fortin de Tsaobis, dans les montagnes du Damaraland, le minuscule corps d’occupation devient pour ces esprits méfians une simple garde de l’étendard : il a l’air de veiller sur un sphinx dont les paupières closes ne s’entr’ouvrent que rarement et dont la bouche ne se desserre que pour bâiller, mais avec à-propos, lorsqu’il va y tomber quelque chose.

Voilà comme l’énigme allemande dégénère en cauchemar afrikandériste. Ce qui se brasse là-bas, à Berlin, pense-t-on, bien fin qui le révélerait : mais il faut se signer à tout hasard.

Chose sûre, de la crise constitutionnelle du Cap datent les premiers indices d’un travail politique de l’Allemagne en Afrique australe. Ils se manifestent deux ans après Sadowa, quand commencent les désaccords de sir Philip Wodehouse avec son parlement.

Depuis d’assez longues années, la Société des missions évangéliques de la Prusse rhénane échelonnait ses stations d’une base voisine de Cape-Town jusqu’au fleuve Orange, en suivant la côte. Même elle avait déjà franchi la limite nord du territoire colonial pour s’installer chez les Namaquas indépendans. Une autre société missionnaire allemande, celle de Berlin, opérait dans l’est, rayonnait sur la Natalie et les républiques hollandaises. En 1868, la rhénane décida de s’attaquer au Damaraland, l’arrière-pays de la baie Valfich, et envoya un renfort de seize personnes. Ce fait n’aurait pas eu à lui seul grande importance ; mais le ministre prussien des affaires étrangères, alors comte de Bismarck, avait donné aux membres de l’expédition le conseil de se présenter d’abord au foreign office de Londres et de s’entendre avec lord Stanley, devenu plus tard lord Derby. On désirait savoir si l’Angleterre ou le Cap exerçaient une juridiction sur les côtes du Namaqualand et du Damaraland.

Ce littoral n’appartenait à personne ; toutefois les gouverneurs du Cap avaient souvent cherché à le faire déclarer anglais, crainte d’intrusion européenne, et sans vouloir ni pouvoir prendre sur eux de l’annexer. Ils s’étaient heurtés à l’abstentionnisme des cabinets libéraux. Londres n’avait consenti, à grand’peine, que pour les îles voisines, où il y avait du guano ; le déploiement des