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le remarqua un journal anglais du cru, était conçu en termes qu’on qualifierait de forts, si on les rencontrait dans une pièce émanée de quelque chancellerie européenne. Cependant, la véritable question ne s’y posait pas encore avec netteté. Le protectorat purement nominal de l’Allemagne, disaient en substance les ministres du Cap, laisse le pays sans personne pour veiller à l’ordre, et nous voici contraints de mettre garnison là-bas pour tenir en respect des tribus censées sous la juridiction d’une grande puissance ! C’était avoir l’air d’admettre que tout irait mieux du jour où ce protectorat paraîtrait moins en l’air.

Le gouvernement britannique n’accusa réception de la note du Cap que pour faire comprendre l’inutilité d’une démarche comme celle qu’on attendait de lui. Sur ces entrefaites, Kamaherrero, chef des Damaras, convoqua le docteur Goering à un grand palabre et lui signifia en paroles imagées son intention de le mettre à la porte. On prétendit qu’il avait été poussé à cet acte par un traitant, M. Robert Lewis, sujet britannique, lequel, au nom d’un syndicat de Cape-Town, disputait aux Allemands la concession de certaines mines d’or. L’alerte fut chaude : non-seulement le commissaire de l’empire d’Allemagne, mais tous les employés de la compagnie de colonisation se réfugièrent à la baie Valfich ; une partie du personnel s’embarqua sur un petit voilier, pour prendre le chemin du retour. Il est probable qu’à la suite de cet événement, le foreign office reçut de Berlin quelques observations. En Allemagne, le ministère du Cap semblait presque suspect de connivence avec M. Lewis : comment cacher cette fâcheuse impression au gouvernement métropolitain ? Alors aussi fut décidé le remplacement de M. Goering, fonctionnaire civil, par un militaire. On fit choix du capitaine von François, officier de l’armée prussienne, et on le mit à la tête d’une très petite troupe. Il fut spécialement chargé d’arrêter et d’expulser le conseiller anglais de Kamaherrero, mais ne put qu’infliger une nuit de prison à deux sous-agens du syndicat Lewis, également Anglais. L’oiseau s’était envolé. Tout cela jetait de l’aigreur. Il y avait maintenant une police du protectorat, et les anciennes critiques n’étaient plus de saison ; oui, seulement cette police commençait par appréhender au corps des gens de Cape-Town. On se vengeait innocemment en imprimant que l’Allemagne partait à la conquête du Damaraland avec vingt uhlans et un chameau. Depuis, cette affaire est entrée dans une nouvelle phase. Le cabinet de Londres s’était constamment dérobé quand celui de Berlin parlait cession ou échange. Mais on pouvait discuter une rectification de frontière : ceci regardait le gouvernement britannique et non plus le gouvernement colonial.