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gouverneur du Cap et de haut commissaire impérial dans l’Afrique du Sud, pour donner plus de liberté au représentant de la reine ; c’était M. Chamberlain qui s’inquiétait de la parenté des Allemands avec les colons d’origine hollandaise ; c’était le chancelier de l’Échiquier lui-même, M. Goeschen, qui paraissait assez enclin à recommander une politique purement métropolitaine, et, langage significatif dans la bouche d’un grand juge des finances, parlait à Birmingham de sacrifices nécessaires. Tout ceci détermina le plus étrange, le plus inattendu des reviremens alors imaginables.

La presse locale hollandaise, tout à coup, sembla presque faire des avances à l’Allemagne. Elle conseillait au docteur Goering d’appeler des boers dans le Damaraland : « Vous ne coloniserez, disait-elle, qu’avec nos hommes. » Elle se mettait aussi en frais d’amabilité avec le Portugal, déjà sur le qui-vive à Lourenço Marques. Un beau jour, à la chambre, on vit le premier ministre se lever de son banc pour préconiser, au milieu de l’étonnement général, l’accession éventuelle de l’Allemagne et du Portugal, avec les Algarves, à l’Union douanière, c’est-à-dire au système des États-Unis de l’Afrique du Sud ! Après cela, il n’y avait plus qu’à tirer l’échelle. On ne put voir sans surprise le même ministre exprimer à quelques minutes d’intervalle, dans une même enceinte, le déplaisir que lui causait le voisinage des Allemands et l’espoir qu’il nourrissait de les avoir pour confédérés. Un déplorable accident faillit brouiller les cartes sans remède. M. Grobbelaar, consul transvaalien à Gouboulouvayo, résidence de Lobengoula, en revenait avec quelques hommes d’escorte ; il se heurta, dans un territoire contesté, aux soldats du chef Khama, qui prétendirent lui barrer le passage : il le prit de très haut, fut entouré, traîtreusement assailli et tué dans la bagarre. Cette mort tragique fit sensation au Cap comme à Pretoria. On s’en émut par esprit de solidarité afrikandérienne ; Khama, responsable de l’assassinat, était un protégé, presque un sujet de l’Angleterre : l’activité politique de cette puissance ne devait-elle donc aboutir, demandait-on, qu’à surexciter l’insolence des noirs vis-à-vis des blancs ? En avril 1889, l’hostilité du sentiment colonial devint assez inquiétante ; les têtes s’échaufïaient visiblement. Le journal hollandais Zuid-Afrikaan soutenait avec insistance que, si le gouvernement de Londres envoyait une expédition au Betchouanaland, celui de Cape-Town aurait le droit et le devoir de s’opposer au passage des troupes britanniques. On répondait dans le Cape-Times : « Soit ; supposons l’arrivée de 10,000 hommes. Quelle serait la suite, d’après notre collègue ? Une défense de débarquer, probablement sous la