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gouverner l’Inde par l’élite de la nation. Mais, disait-il, — je résume son argumentation, — où se trouve-t-elle, cette élite ? Elle se trouve, à n’en pas douter, dans ces collèges, dans ces universités par où a passé et passe encore chaque année ce qu’il y a de plus distingué dans ce pays. Notre devoir est donc de nous efforcer d’attirer à nous les meilleurs élèves d’Oxtord, de Cambridge, etc., ceux qui viennent de prendre leurs premiers grades et cherchent encore de quel côté orienter leur vie. Et comment les engagerons-nous à entrer dans la carrière de l’Inde ? En aplanissant la voie qui y conduit. Or, considérez ce que sont aujourd’hui nos programmes. Ils sont tout hérissés de matières spéciales et de connaissances techniques, et tels que pas un de nos bachelors in arts ne peut songer à affronter nos concours sans un long travail préparatoire. Là est l’obstacle qui détourne de nous tant d’intelligences et que nous devons abattre. Nous devons rédiger nos programmes de telle façon que l’enseignement classique de nos universités soit en même temps une préparation presque complète à nos concours. Il faut que le lauréat d’Oxford soit, pour ainsi dire, accueilli ici comme il le serait spontanément partout ailleurs ; il faut que celui qui aura échoué devant nous puisse, avec le même bagage intellectuel que nous exigeons, s’ouvrir vingt autres carrières et n’ait point le regret, nous ayant consacré une portion si considérable de son temps, de constater que la voie où il s’était engagé conduisait chez nous et nulle part ailleurs. C’est en offrant de telles facilités que nous séduirons cette forte et florissante jeunesse anglaise dont la coopération nous est indispensable.

Voilà les raisonnemens que tenait lord Macaulay ou dont on lui a fait honneur. Et quand on lui objectait que les programmes ainsi conçus n’offriraient aucune garantie, que les fonctionnaires ainsi recrutés n’auraient aucune valeur technique, il faisait une réponse que récemment m’a rappelée l’apparent paradoxe de M. Fouillée dans sa Réforme de l’enseignement, parue ici même. L’esprit scientifique ? disait en substance M. Fouillée, mais rien n’est plus propre à le déceler qu’une version bien faite. Et de même Macaulay : Des garanties ? Je n’en sais pas de plus solides que celles d’une forte éducation libérale, « la plus forte, la plus libérale, la plus accomplie que puisse fournir notre pays. L’expérience l’a démontré : une éducation de ce genre est la meilleure des préparations pour toute profession qui exige l’exercice de hautes facultés intellectuelles. Il serait difficile de prouver que cette préparation est moins indispensable à un fonctionnaire civil de l’Inde qu’à un particulier qui se destine aux carrières libérales en Angleterre. C’est le contraire qui est vrai. Un fonctionnaire civil de l’Inde a plus besoin d’une bonne instruction générale qu’un professionel man résidant en Angle-