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Et tandis qu’il enroulait les tresses dorées autour de sa main, il enfonça le poignard dans le cœur de la staroste. Elle poussa un cri, cambra une dernière fois son beau corps, et retomba râlant.

Devant sa couche, le Cosaque s’était agenouillé, et faisait sa prière en silence.

Quand il eut achevé le signe de la croix, il se leva… Le vœu du Polonais était accompli, sa femme morte. Ah ! elle était belle, même dans la mort, étendue dans les flots d’une fourrure d’hermine inondée de sang, perdue au milieu du nuage doré de ses cheveux blonds épars.

Le Cosaque traça sur elle le signe de la croix, puis il quitta rapidement la chambre mortuaire, se précipita en bas de l’escalier, sauta en selle en criant aux gens qui s’étaient rassemblés autour de lui : « Le seigneur est mort ! Les infidèles approchent ! Sauve qui peut ! »

Et tout aussitôt se produisit une confusion indescriptible.

Cependant, le Cosaque avait passé le portail et s’éloignait ventre à terre à travers champs et prairies, fossés et ruisseaux, que son cheval franchissait d’un bond audacieux. On eût dit, avoir sa course affolée, que la belle créature chevauchait derrière lui sur le cheval écumant, fouettant cavalier et monture de ses tresses dorées. Arrivé dans la steppe, entouré du vert et onduleux océan d’herbes fleuries où se balançaient des rayons de soleil, ayant au-dessus de sa tête l’azur bleu du ciel, le Cosaque mit sa monture au pas.

Alors, il jeta un profond soupir et, levant la tête, contempla le firmament, comme s’il regardait sans peur, sans reproche, dans les yeux mêmes de Dieu.


SACHER-MASOCH.