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sud de l’Himalaya et rayonne jusque sur le Thibet et la Mongolie, l’alphabet syriaque s’avance directement à travers le plateau central. Au Nord enfin, l’alphabet gréco-italiote, après avoir contourné l’Europe, devançant les voyageurs modernes, pénètre à son tour dans les plaines le la Sibérie… Tous les alphabets qui sont en usage sur la terre dérivent des vingt-deux lettres de l’alphabet phénicien. Il serait difficile de trouver dans l’histoire des découvertes un autre exemple d’une invention qui ait eu une fortune aussi extraordinaire. » Ce prodigieux succès s’explique facilement. Les Phéniciens avaient trouvé du premier coup la formule de l’écriture universelle. Ils avaient compris que la vraie destination de l’art d’écrire est d’exprimer par des signes visibles les sons de la parole, et ces sons étant à peu de chose près les mêmes partout, les mêmes lettres, légèrement modifiées, ont servi à écrire toutes les langues.

Les savans seuls sentiront tout le prix du beau livre de M. Berger ; mais les ignorans peuvent l’étudier avec profit, il offre une ample matière à réflexions. On est frappé de voir, en le lisant, quel amour a l’espèce humaine pour le compliqué ; le simple ne vient que plus tard, et son jour se fait longtemps attendre. Une autre conclusion qu’on peut tirer de l’histoire de l’écriture, c’est qu’il y a des biens réels dont les peuples se passaient facilement et des biens d’imagination qui leur ont toujours paru plus précieux que les autres. M. Berger estime que l’alphabet fut inventé par les Phéniciens vers l’an 1500 avant notre ère. Le monde était déjà vieux et depuis longtemps il écrivait. Pourquoi s’en est-il tenu durant tant de siècles aux écritures compliquées et laborieuses ? Parce qu’elles répondaient mieux à ses besoins. Dans l’antiquité, l’écriture a servi successivement à trois choses, à graver des inscriptions sur la pierre, à correspondre avec des absens et à fixer sur le papier la parole ailée d’un poète. Les inscriptions sont d’une utilité beaucoup moins évidente que la correspondance et le livre écrit, et cependant l’écriture épigraphique ou lapidaire était la seule dont les hommes d’alors sentissent le besoin. Plus elle était monumentale et décorative, plus elle leur plaisait, et il faut avouer que les hiéroglyphes des Égyptiens font meilleure figure sur une muraille, que les vingt-deux lettres de l’alphabet phénicien. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un coup d’œil en passant sur l’obélisque de la place de la Concorde.

L’écriture est née le jour où l’homme, se prenant en goût et en estime, éprouva le désir de transmettre quelque chose de lui à la postérité, de perpétuer le souvenir de quelques-unes de ses pensées et de ses actions, qui lui semblaient mémorables. L’art d’exprimer ses idées par de simples traits fut longtemps une science occulte, propriété exclusive d’une classe, d’une caste sacerdotale, d’une corporation de