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l’Histoire des variations, si Bossuet ne peut pas lui-même se dépouiller de l’air de grandeur qui lui est propre, il faut chercher, pour les y trouver, ces « apostrophes, » et ces « emportemens, » et ces « invectives, » dont ses adversaires et ses critiques voudraient nous faire croire qu’elle abonde. M. Rébelliau en cite quelques exemples. « Après cela, on ose prendre les progrès soudains de la réforme pour un miracle visible et un témoignage de la main de Dieu. Comment M. Burnet l’a-t-il osé dire, lui qui nous découvre si bien les causes profondes de ce malheureux succès ? » Évidemment, pour trouver là de la « rhétorique » ou de la « déclamation, » il faut avoir de bons yeux, et l’on est tenté de croire que, comme nous disions, sous le nom de son « éloquence, » les Basnage et les Jurieu n’en veulent à Bossuet que de leur impuissance à lui répondre. La manière de Bossuet, dans son Histoire des variations, comme ailleurs, est oratoire, et son style, si je puis ainsi dire, est parlé. C’est une habitude, au surplus, faisons-en la remarque en passant, qui, d’une manière générale, est celle de son siècle même. La prose française, formée à l’école de la controverse, n’est guère passée du mode oratoire au mode narratif qu’à la fin du XVIIe siècle, et on ne « contait » pas encore au temps de Bossuet, mais on exposait, on discutait, on prouvait. Les habitudes du style oratoire ou parlé sont encore visibles dans les Caractères eux-mêmes de La Bruyère.

Si maintenant, dans son livre, M. Rébelliau avait peut-être un peu plus insisté sur les qualités littéraires de l’Histoire des variations, j’imagine que le lecteur ne lui en aurait pas su mauvais gré. Sans doute, il fait bien observer que l’éloquence ici « reste bien plutôt à l’intérieur qu’elle ne paraît à la surface ; » et il a raison. Il ajoute plus loin que dans les endroits où le style de Bossuet « se départ un peu du ton convenable à la discussion ou au récit, il s’empreint alors bien plutôt d’une ironie souvent familière que d’une magnificence encombrante ou d’un pathétique déplacé. » C’est ce que savent aussi tous ceux qui ont lu l’Histoire des variations. Mais le don de Bossuet, celui que j’aurais souhaité que M. Rébelliau mît en lumière, parce que c’est celui qui le « classe, » en quelque sorte, ou, si l’on veut encore, qui met comme un abîme entre les Varillas et les Maimbourg et lui, c’est le don de voir la réalité par-delà ses textes ou ses documens, d’écarter tout ce qui s’interpose entre elle et lui, d’en ressaisir la sensation présente, et de toucher presque du doigt les choses et les hommes du passé. C’est ainsi que son Luther ou son Mélanchthon sont vivans pour lui. C’est ainsi que, quand il oppose les luthériens et les zwingliens sur la « présence réelle, » il les voit, et les entités théologiques elles-mêmes s’animent à ses yeux. Il a connu également Henri VIII ou Cranmer… Et ce don si rare, qui lui a permis de ne pas succomber sous